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Les autorités renfloueront la Banque centrale

22 octobre, 2022   |   Par Kadiatou Bah

Entre avril 2020 et décembre 2021, pour faire face à une pandémie sans précèdent, la Banque du Canada a ajouté 360 milliards de dollars d’obligations à son bilan dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif.

Pendant la pandémie, la banque centrale achetait surtout des obligations du gouvernement canadien, mais aussi des obligations provinciales et des titres adossés à des créances hypothécaires.

En dehors des premiers mois de la crise, lorsqu’il a contribué à empêcher les marchés financiers canadiens de se crisper, l’assouplissement quantitatif a probablement eu un effet négligeable sur l’économie canadienne. La mise en œuvre de ce programme n’a pas provoqué la flambée actuelle de l’inflation.

Cependant l’assouplissement quantitatif aura un impact majeur sur l’état des finances publiques à l’avenir. Nous aurons un aperçu de cette « bombe du QE » sur les finances publiques lorsque la Banque révélera qu’elle a généré un bénéfice net négatif en 2022 et qu’Ottawa sera forcé de la renflouer.

La Banque devrait faire preuve de transparence au sujet du déficit à venir et ajouter des mesures de protection entourant l’utilisation de politiques d’assouplissement quantitatif à l’avenir.

Mise en contexte avant la pandémie

Avant 2020, la Banque du Canada envoyait chaque année environ 1 milliard de dollars au gouvernement du Canada sous forme de versements. Ces envois de fonds réguliers étaient des profits de « seigneuriage » : parce que la Banque a le monopole de l’émission de devises, elle peut produire des billets de banque à un coût proche de zéro, vendre les billets aux banques et utiliser le profit pour acheter des obligations.

L’activité de négociation de billets de banque, sur lesquels la Banque ne paie aucun intérêt, contre des obligations portant intérêt a permis à la Banque d’autofinancer ses opérations, « ce qui lui a permis de fonctionner indépendamment des crédits gouvernementaux », comme le souligne le rapport annuel 2019 de la Banque.

Elle envoyait ensuite l’excédent au gouvernement. Le seigneuriage est la poule aux œufs d’or du gouvernement fédéral : les autorités reçoivent un milliard régulier par an en échange de l’octroi à la Banque du privilège d’émettre de la monnaie.

La pandémie a tout changé

En 2020, la Banque a abandonné son ingénieux système monétaire dans lequel les banques commerciales s’envoyaient des fonds pour gérer leurs besoins de liquidités, en faveur d’un système « plancher », dans lequel les banques commerciales détiennent des réserves à la banque centrale.

Considérez les réserves comme de la monnaie de banque centrale, sur laquelle la Banque paie des intérêts. La mise en œuvre de ce nouveau système, combinée à l’assouplissement quantitatif pandémique, signifie que les billets de banque ne représentent aujourd’hui que 28 % du passif de la Banque, contre 78 % en 2019.

Les billets de banque sont maintenant éclipsés dans le bilan de la Banque du Canada par les réserves portant intérêt et les prises en pension inversées. Lorsque la Banque relève son taux directeur, elle augmente les paiements d’intérêts qu’elle verse aux banques et aux autres institutions financières.

D’une part, la Banque reçoit des intérêts de ses avoirs en obligations. D’autre part, elle envoie des paiements d’intérêts aux banques. Le problème est que les obligations d’État offrent un taux d’intérêt fixe, tandis que les intérêts payés par la Banque sur les réserves sont alignés sur le taux directeur de la Banque.

Compte tenu de la flambée des taux canadiens, les charges d’intérêts de la Banque sont sur le point de dépasser ses revenus d’intérêts.

La Banque ne dispose pas de fonds propres suffisants pour couvrir les pertes, le gouvernement devra la renflouer par un prêt ou un transfert.

D’après les attentes du marché à l’égard des taux de la Banque du Canada, l’estimation du manque à gagner de Bloomberg est à 1 milliard de dollars en 2022, à 4 milliards de dollars en 2023 et à 2 milliards de dollars en 2024.

Au lieu de recevoir 3 milliards de dollars sur trois ans de la Banque du Canada, le gouvernement fédéral devra combler un manque à gagner estimé à 7 milliards de dollars, soit l’équivalent de deux pour cent des revenus annuels du gouvernement.

Réflexions sur les politiques avenir

La Banque du Canada est clairement consciente de la situation. Elle vient de cesser de payer des intérêts sur les dépôts du gouvernement, une astuce comptable pour réduire le manque à gagner de fin d’année. La Banque devrait faire preuve de transparence au sujet du déficit à venir.

Maintenant, il est très possible que les avantages de l’assouplissement quantitatif pendant la crise l’aient emporté sur les coûts auxquels le gouvernement est confronté aujourd’hui. Le Canada n’est pas le seul pays dans cette situation le coût net pour les contribuables américains sera probablement encore plus élevé.

Les décideurs devraient reconsidérer les mérites d’avoir une banque centrale qui assume le risque de taux d’intérêt.

En échangeant ses réserves contre des obligations, la Banque réduit effectivement la maturité moyenne de la dette publique. Lorsque le gouvernement vend une obligation pour financer ses dépenses, il choisit l’échéance optimale de l’obligation à émettre.

Si elle veut « bloquer » un taux d’intérêt pour se protéger contre les variations futures des coûts d’emprunt, elle émettra une obligation à long terme, par exemple une obligation à 30 ans.

Mais qu’adviendra-t-il du bilan du gouvernement si la Banque du Canada achète l’obligation à 30 ans ? Cette obligation à long terme est remplacée par une obligation à très court terme : les réserves bancaires, sur lesquelles la Banque et par extension le gouvernement paie le taux du financement à un jour. Au lieu de bloquer un taux d’intérêt pendant trente ans, le gouvernement le verrouille pendant une journée.

Les données montrent que l’impact sur le profil consolidé de la dette publique est immense. Si l’on tient compte des avoirs de la Banque du Canada en obligations du gouvernement du Canada, l’échéance moyenne pondérée de la dette du gouvernement passe de 6,7 ans à 4,7 ans, ce qui rend les coûts d’emprunt du gouvernement environ 30 % plus vulnérables à une hausse des taux d’intérêt.

La Banque du Canada devrait-elle avoir une telle incidence sur le profil de la dette du gouvernement ? D’autant qu’en dehors des périodes de chocs de liquidité aigus comme avril 2020, les effets du QE sur l’économie sont discutables. Avec le recul, c’est du 50/50, et nous ne pouvons pas blâmer la Banque d’avoir vidé le placard en ces temps sans précédent.

A l’avenir, la Banque devrait mettre en place des mesures de protection autour de l’utilisation de son bilan pour engloutir la dette publique. La Banque du Canada devrait également s’engager à revenir éventuellement à son ancien système afin de réduire son empreinte sur le marché des obligations d’État.