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Les bas taux d’intérêt, une menace ?

18 février, 2021   |   Par Félix Blanc

Certains voient les faibles taux d’intérêt actuels d’un mauvais œil. Selon eux, comme les taux ont baissé, nous assisterions présentement à une bulle immobilière qui est vouée à exploser. Puisque les taux sont bas, les acheteurs peuvent contracter une plus grande hypothèque, sans alourdir la charge de leurs paiements mensuels, ce qui a comme effet de pousser dangereusement les valeurs vers le haut.

Mais on peut à juste titre se demander s’il s’agit là véritablement d’une menace.  Car dans les faits, si les locataires demeurent en mesure de payer, que la courbe des valeurs marchandes se maintient, et que les taux d’intérêt se maintiennent, il n’y a absolument aucun problème au fait que les taux d’intérêt soient bas, bien au contraire. Le problème surviendrait seulement dans l’éventualité où l’on contracterait une dette trop importante par rapport à, d’une part, la capacité de payer des locataires, d’autre part, l’évolution des valeurs marchandes et finalement par rapport à une hausse éventuelle des taux d’intérêt. Après tout, si les locataires en venaient à ne plus être en mesure de payer, que vos immeubles devenaient, par le fait même, déficitaires, vous auriez à les mettre en vente comme énormément d’autres propriétaires, avec des taux d’intérêt plus hauts (ce qui affecterait le pouvoir d’achat des acheteurs), ce qui ferait augmenter l’inventaire, descendre les valeurs marchandes, et ultimement anéantir votre patrimoine. J’aimerais donc m’attarder à ces trois risques véritables dissimulés derrière la fausse menace qu’est la baisse des taux d’intérêt. 

Les mauvaises créances

Attardons-nous donc au premier risque véritable, à savoir le risque de mauvaises créances. Le besoin de se loger est plus fondamentalement essentiel qu’une très vaste majorité des biens et services sur lesquels repose l’économie. Autrement dit, imaginer un monde où le marché immobilier serait décimé par de mauvaises créances, ça revient à imaginer une économie d’autant plus mal en point, au sein de laquelle les véhicules d’investissement alternatifs seraient d’ailleurs pour la plupart eux aussi compromis. Bref, exception faite des immeubles haut de gamme, qui eux satisfont des besoins moins essentiels en temps de crise, il est déraisonnable de perdre foi, sur cette base-là, en l’investissement immobilier multi-résidentiel, surtout lorsque l’on sait que dans des villes nord-américaines, de gabarits similaires à Montréal, la charge du coût des loyers par rapport aux revenus bruts des locataires s’élève à plus de 65%, loin au-dessus de la proportion que l’on peut observer au Québec. Ceci dit, bien sûr, la performance économique de votre secteur à travers la pandémie jouera pour beaucoup dans l’évolution de vos RNN, et dans ce cas, pourquoi ne pas en tenir compte dans votre modélisation, histoire d’évaluer ce que ça implique sur la performance de vos actifs, au lieu de rejeter le domaine de l’investissement immobilier en bloc?

Les valeurs marchandes

Que les mauvaises créances vous acculent au pied du mur et vous obligent massivement à vendre de sorte que l’inventaire explose et que les valeurs marchandes baissent, ça semble peu probable. En fait, dans un contexte d’incertitude économique, non seulement le marché du multilogement est généralement convoité, pour sa très grande stabilité, mais l’économie canadienne occupe, par ailleurs, en tant que telle, une place de choix, du fait de sa stabilité économique et politique internationalement reconnue. Il ne serait donc pas étonnant, en ces temps de crise, que les grands joueurs de l’international regardent de notre côté, comme ils l’ont déjà fait du côté de Vancouver et de Toronto, et viennent impacter les TGA, provoquant ainsi une hausse significative des valeurs marchandes. On peut aussi mentionner au passage qu’au sein même de l’économie, les TGA entretiennent un rapport historiquement constant vis-à-vis du GoC. Dans le contexte actuel, avec la baisse drastique des taux que nous avons connue, pour plusieurs experts, les TGA flottent donc à haute altitude au-dessus de la position qu’ils devraient occuper pour respecter la proportion historiquement normale. Autrement dit, il serait moins surprenant de voir les TGA se compresser que de les voir se dilater, ce qui contribue, pour ma part, à limiter encore davantage ma perception du risque d’hécatombe en lien avec les valeurs marchandes.

La hausse des taux d’intérêt

Finalement, en ce qui concerne les taux d’intérêt, la banque centrale du Canada a été assez explicite sur le sujet : « Le Conseil de direction maintiendra le taux directeur à sa valeur plancher jusqu’à, […] selon notre projection actuelle […] 2023 ». Bien sûr, le gouverneur de la banque du Canada ne peut s’y engager officiellement, puisque ce serait contraire au mécanisme de détermination du taux directeur qui se produit huit fois par année, et qu’ultimement les décisions dépendront de la variation du taux d’inflation et du PIB, qui eux-mêmes dépendront de la sortie de crise et de plusieurs autres facteurs. Cependant, selon les prévisions de la BDC et celles de plusieurs experts dans le domaine, il semble peu vraisemblable d’assister à une hausse de taux dans les années à venir. Or, si vous êtes en mesure de stabiliser un projet en deux ou trois ans à partir d’aujourd’hui, puis d’en fixer ensuite le taux sur une période de 5 à 10 ans, le risque en devient assez limité.

Bref, tout ça pour dire que lorsqu’on entend raconter à la radio et à la télé que la baisse des taux d’intérêt contribue à créer une « bulle immobilière » qui risque de faire des ravages, je crois qu’il faut émettre des réserves, du moins en ce qui concerne le marché multirésidentiel. Le risque, c’est bien souvent corrélé à la part d’inconnu d’un projet. Ça vaut se pencher véritablement sur la question plutôt que de se contenter de ressasser des lieux communs.