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Qu'est-ce que l'assouplissement quantitatif et quel est son lien avec l'immobilier?

17 mars, 2020   |   Par Nikolaï Ray

L’assouplissement quantitatif (quantitative easing ou QE, en anglais) est une politique monétaire d’impression d’argent mise en œuvre par les banques centrales pour dynamiser l’économie. Les banques centrales comme la réserve fédérale américaine (la Fed) créent de l’argent pour acheter des titres d’état (comme des obligations gouvernementales sur le marché) pour réduire les taux d’intérêts et augmenter la masse monétaire. Ceci incite les institutions financières à promouvoir l’augmentation des prêts, motiver les gens à emprunter et rendre la masse monétaire plus liquide.

Quand utilise-t-on l’assouplissement quantitatif?

Lorsque l’économie d’un pays stagne ou fonctionne mal, la banque centrale évalue les causes et les facteurs qui affectent le status quo. Elle adopte ensuite des mesures pour atténuer les effets négatifs. Habituellement, des taux d’intérêts plus élevés et l’inflation sont les principaux facteurs qui déclenchent une stagnation ou un ralentissement économique, surtout lorsque les deux deviennent incontrôlables. Normalement, les banques centrales réduisent leurs taux d’intérêts de référence au jour le jour pour encourager les banques à leur emprunter de l’argent.

Des taux d’intérêts plus bas réduisent les coûts de financement des banques et les encouragent à emprunter plus d’argent, pour ensuite en avoir davantage à prêter aux consommateurs et entreprises. En effet, ceci atténue les problèmes de masse monétaire et empêche l’économie de tomber en récession. Cependant, même si la réduction des taux d’intérêt dans la mesure du possible, presqu’à zéro, ne stimule pas de reprise, la banque centrale peut alors recourir à une politique connue sous le nom d’assouplissement quantitatif. En effet, pour stimuler l’économie, cette politique est souvent considérée comme la dernière technique et mise en place lorsque les autres politiques standards de la banque centrale ne fonctionnent pas.

Comment fonctionne l’assouplissement quantitatif?

Pour concrétiser cette politique monétaire non conventionnelle, la banque centrale achète des titres gouvernementaux auprès de banques commerciales et autres institutions financières privées. Ceci fait baisser les taux d’intérêts à court terme et les prix de ces actifs financiers augmentent (la relation entre le prix et le taux des obligations est inversement proportionnel), ce qui stimule l’investissement. L’argent ou le produit de la vente, reçu par les banques, est utilisé pour développer les activités de prêt aux entités privées comme les petits investisseurs et les PME. Si les prêts augmentent, l’argent qui circule dans l’économie augmente également. Les banques offrent donc aux entreprises des prêts moins chers pour développer leurs opérations. Il en va de même pour les acheteurs ou les consommateurs, ce qui les encourage à acheter plus de choses à crédit.

L’augmentation de la masse monétaire disponible grâce à l’assouplissement quantitatif maintient la valeur de la monnaie d’un pays faible et la rend attrayante pour les investisseurs étrangers. Les exportations sont également relativement moins chères. En outre, comme la banque centrale achète des titres publics comme des bons du Trésor, la demande pour ces bons augmente et, par conséquent, maintient les rendements du Trésor bas. Comme les bons du Trésor sont la base de tous les autres taux d’intérêts, ils rendent également les taux d’endettement des automobiles, des meubles et des autres consommateurs plus abordables. Les taux hypothécaires à long termes et à taux fixes restent bas, ce qui est essentiel pour soutenir le marché immobilier.

Quels sont les inconvénients de l’assouplissement quantitatif?

L’assouplissement quantitatif a des effets négatifs qui ne se feront généralement sentir que plus tard dans l’avenir.

  1. L’augmentation trop rapide de la masse monétaire entraîne de l’inflation. Le flot de liquidités sur le marché peut encourager un comportement financier imprudent et augmenter les prix. Ceci se produit lorsqu’une augmentation de la masse monétaire n’est pas en corrélation avec le volume de biens disponibles à la vente.
  2. Les banques peuvent choisir de ne pas prêter d’argent aux emprunteurs. Elles peuvent choisir, alternativement, d’investir dans les marchés émergents, les économies basées sur les matières premières et les opportunités non locales, ce qui crée une fuite de capitaux et ne stimule, évidemment, pas l’économie locale.
  3. La dépréciation de la monnaie locale n’est pas avantageuse pour l’importation. Elle entraîne des coûts plus élevés, tant pour les importateurs d’affaires que pour les consommateurs locaux, puisqu’ils doivent payer plus d’argent local en échange de la devise étrangère du vendeur.
  4. L’assouplissement quantitatif profite de manière démesurée à ceux de la tranche supérieure de la société, ce qui augmente les disparités de richesse ou de revenu.

L’assouplissement quantitatif et l’immobilier

Les marchés immobiliers ont récemment bien performé, avec les prix des logements existants en hausse de 2.4 % (FHFA) et le prix moyens des maisons neuves en hausse de 22 % (BOC) aux États-Unis depuis le creux de 2011. Même si meilleurs que la moyenne, les États-Unis ne font pas exception à la règle; le district de la réserve fédérale de Dallas signale que le prix moyens des maisons dans le monde a augmenté d’environ 1 % sur la même période. Plus de détails sur l’appréciation des prix de l’immobilier dans le monde depuis 2011 apparaissent à la Figure 1, ci-dessous.

La reprise du marché immobilier coincide avec la croissance des bilans des banques centrales. La plus grande composante de la croissance de ces bilans au cours des dernières années est le résultat de l’assouplissement quantitatif. La figure 2, ci-dessous, illustre la croissance internationale des bilans des banques centrales (à l’exception du Japon) . Le bleu représente la période d’assouplissement quantitatif . Globalement, la masse monétaire mondiale a presque doublé au cours des dernières années depuis le début de l’assouplissement quantitatif. Notez que le montant d’argent créé au cours des dernières années est égal au montant d’argent créé au cours des 50 années précédentes (j’ai seulement trouvé des données jusqu’en 2012; ça n’a pas ralenti depuis).

La politique d’assouplissement quantitatif est née en mars 2001, alors que la Banque centrale du Japon tentait de lutter contre la déflation intérieure des premières années du XXIe siècle (Shirakawa, 2003). Depuis le début de l’expérience japonaise, la pratique de l’assouplissement quantitatif a été adopté par de nombreux banquiers centraux, la réserve fédérale américaine en étant actuellement à sa dixième ronde d’assouplissement, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne à leurs huitième rondes, et la Banque centrale du Japon sa 19e année d’assouplissement quantitatif.

La pratique de l’assouplissement quantitatif est vivement débattue par les économistes (Kimura & Small, 2006; Blinder, 2010; Taylor & Williams, 2009). Étant donné que le débat est passé de l’utilité de cette mesure à la vitesse à laquelle les banques centrales devraient réduire leurs programmes d’assouplissement, cependant, j’aborde l’assouplissement quantitatif en relation avec le marché immobilier, un des marchés les plus susceptibles d’être affecté par les décisions des banques centrales.

L’effet de l’assouplissement sur les conditions du marché immobilier se manifeste d’un certain nombre de façons, notamment les taux d’intérêts, l’offre et la demande de prêts, et le prix des maisons. 

Taux d’intérêts

L’effet de l’assouplissement quantitatif est plus évident par la façon dont il influence les taux d’intérêts, en particulier les taux d’intérêts hypothécaires. L’économie de l’émission est simple : les banques centrales créent une demande de titres portant intérêt, tels des titres adossés à des créances hypothécaires, en achetant des obligations de durées variables. La demande accrue exerce une pression à la baisse sur les taux d’intérêts.

La figure 3, ci-dessous, illustre les taux d’intérêts hypothécaires. Le bleu représentant le début de l’ère de l’assouplissement quantitatif. Comme indiqué, l’assouplissement est corrélé à une baisse des taux d’intérêts. Si on se tourne vers l’avenir, le débat entoure l’ampleur de l’effet de réduction ou d’élimination de l’assouplissement par la réserve fédérale américaine et d’autres banques centrales sur les taux d’intérêts (et donc l’activité économique). Fait intéressant, en prévision des actions des banquiers centraux, une certaine réduction est déjà intégrée au marché obligataire.

L’offre et la demande

La deuxième sphère affectée par les mesures d’assouplissement quantitatif est l’offre et la demande de maisons. L’économie derrière ce problème est évidente : puisque l’assouplissement quantitatif a maintenu les taux d’intérêts artificiellement bas, ce qui rend la propriété immobilière plus abordable, alors l’offre et la demande de logements sont stimulées. La figure 4, ci-dessous, illustre cet effet pour le nombre de propriétés résidentielles sur le marché et la demande. Tel qu’illustré, l’assouplissement quantitatif a probablement stimulé l’offre et la demande de biens immobiliers résidentiels. En ce qui concerne les détails de la manière dont l’élimination de l’assouplissement quantitatif pourrait affecter la demande de logements dans un avenir proche, en effectuant des tests du globe oculaire et statistiques, une augmentation de 200 points de base du taux hypothécaire à 30 ans (c’est-à-dire l’élimination complète de l’assouplissement quantitatif) pourrait réduire le nombre de maisons neuves vendues de 50 000 à 100 000 par an, en supposant que les choses demeurent constantes. La véritable question est qu’est-ce qui est suffisant ou trop? Je veux, bien sûr, dire la quantité d’argent imprimé. 

Valeurs des propriétés

La troisième sphère touchée par l’assouplissement quantitatif est le prix des maisons. La logique derrière la connexion de ces deux éléments est simple : en supposant que l’assouplissement a rendu les maisons plus abordables grâce à son effet sur les taux d’intérêts, le prix des maisons a donc augmenté, ce qui est illustré dans la figure 5, ci-dessous, avec une augmentation apparente depuis le début de l’assouplissement vers 2008. En ce qui concerne l’élimination complète de l’assouplissement et comment ceci pourrait affecter le prix des maisons neuves (toujours en supposant une constance), elle pourrait se manifester comme une baisse du prix moyen des maisons neuves d’environ 25k$ à 50k$. Dans un contexte de récession, l’assouplissement quantitatif peut théoriquement être considéré comme un facteur de maintien de la valeur des propriétés. Maintenant, combien d’argent doit-on imprimer pour réussir? Combien est trop, ayant l’effet néfaste de créer trop d’inflation sur le prix des propriétés? Impossible de le dire; comprenez donc le danger d’utiliser un outil comme celui-ci.

L’inflation ?

Par le passé, depuis le début des politiques de Qc, bien que les réserves bancaires aient été augmentées, les prêts n’ont pas décollé et la vélocité de l’argent n’a pas augmenté – la vitesse à laquelle le capital parcourt l’économie et se retourne. En l’absence de la vélocité de l’argent, le QE pourrait être considéré comme inefficace ou provoquant un environnement déflationniste, où le capital est amassé et tout le monde est trop pétrifié pour le risquer dans des efforts productifs.

La meilleure façon d’illustrer que l’assouplissement quantitatif ne fonctionne pas est la réduction continue de la vélocité et l’absence de multiplicateur de crédit qui en résulte depuis l’introduction de ce régime monétaire historiquement peu orthodoxe. En Amérique, au Japon et dans la zone euro, la vélocité a continué de baisser depuis la crise financière de 2008. Ainsi, la vélocité monétaire aux États-Unis, au Japon et dans la zone euro, mesurée en tant que ratio PIB nominal / m2, est passée de 1,94x, 0,7x et 1,29x respectivement au 1T98 à 1,5x, 0,55x et 1,05x au 2T15.

En effet, la vélocité de l’argent américain est maintenant à son plus bas niveau en six décennies. C’est pourquoi ceux qui ont prédit une flambée de l’inflation au cours des dernières années provoquée par «l’impression d’argent» par la Fed se sont jusqu’à présent révélés erronés. Car l’inflation, telle que définie par les économistes conventionnels comme Ben Bernanke au sens étroit des prix à la consommation et autres, ne reprendra que si le chiffre d’affaires de la monnaie augmente. C’est le problème avec la forme étroite du monétarisme mécanique associée à des des économistes néo-classiques comme l’américain Milton Friedman.

Le QE est déflationniste car il réduit les marges d’intérêt nettes des banques via une baisse des rendements des bons du Trésor. Il enrichit également les déjà riches via l’inflation des prix des actifs mais ils n’augmentent pas leur consommation en réponse, car combien de cochonneries non-essentiels peuvent-ils acheter de plus? Un autre yacht, un jet privé pour sa maîtresse ? Enfin, cela conduit également à une préférence des rachats d’actions de la part des corporation par rapport aux dépenses d’investissement car le retour sur investissement de l’ingénierie financière est beaucoup plus facile et plus immédiat.

Pour conclure

Hormis les trois sphères dont j’ai discuté, un certain nombre d’autres domaines (qui ont une incidence sur les conditions du marché immobilier) sont également touchés, comme les marchés boursiers, les investissements des entreprises, les risques d’inflation et les revenus d’intérêts perdus des détenteurs d’obligations, pour n’en énumérer que quelques-uns. Il ne fait aucun doute que les banquiers centraux sont conscients des problèmes liés et les investisseurs immobiliers, les propriétaires et les autres parties intéressées devraient également être conscients des incidences de l’assouplissement quantitatif.

Dans l’ensemble, l’assouplissement quantitatif continue d’affecter les conditions du marché immobilier avec des effets facilement visibles lorsqu’on examine les taux d’intérêts hypothécaires, l’offre et la demande et les valeurs des propriétés. Dans l’attente du déroulement des prochaines phases du cycle ou des prochains cycles de marché, les investisseurs immobiliers et autres observateurs immobiliers doivent suivre de près les actions et décisions en matière d’assouplissement quantitatif. Il est comme un médicament : une trop petite dose n’aura pas l’effet escompté et une trop grande dose rend dépendant, mène à la surdose et peut être ultimement fatal.