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La hausse des taux d’intérêt « problématique numéro 1 » pour le marché canadien de l’habitation, selon les économistes

8 juillet, 2021   |   Par Kadiatou Bah

Alors que le marché immobilier canadien montre des signes timides de lassitude des acheteurs de maison, certains économistes envisagent un autre facteur qui devrait largement freiner la frénésie immobilière : la hausse des taux d’intérêt.

Avec la reprise de l’activité économique au milieu de la flambée des taux de vaccination et des signes d’inflation, plusieurs analystes estiment que la Banque du Canada augmentera son taux directeur au cours du second semestre de 2022.

La question est de savoir comment la hausse des coûts d’emprunt pourrait affecter le marché du logement, qui s’est développé pour représenter une part démesurée de l’économie soit 2,4 milliards de dollars. 

« C’est le problème numéro un auquel est confrontée l’économie canadienne : la sensibilité accrue à des taux d’intérêt plus élevés », déclare Benjamin Tal, Économiste en chef adjoint à la CIBC. 

Étant donné que de nombreux Canadiens ont des prêts hypothécaires importants, même une petite augmentation des taux d’intérêt aurait un impact significatif sur les bilans des ménages, prévient-il. Une augmentation de seulement 1,5 point de pourcentage des taux d’intérêt pourrait doubler le paiement hypothécaire mensuel pour certains propriétaires, affirme-t-il.

La Banque du Canada a laissé son taux directeur à un creux historique de 0,25 % depuis mars 2020, lorsque la banque centrale a rapidement réduit les coûts d’emprunt pour atténuer l’impact de la crise économique liée à la pandémie de COVID-19 .

On s’attend généralement à ce que des taux d’intérêt plus élevés offrent un répit bienvenu face à la croissance vertigineuse des prix des maisons, dit Tal.

« Même une petite augmentation des taux d’intérêt serait suffisante pour ralentir le marché et ce serait une très bonne chose », dit-il.

Mais trop d’une bonne chose pourrait exposer les vulnérabilités accrues de l’économie canadienne, préviennent Tal et d’autres économistes.

« Si les frais d’intérêt devaient augmenter d’un à deux points de pourcentage, en raison du niveau d’endettement, les ménages pourraient se retrouver dans une situation où ils consacreraient une part importante de leurs revenus à effectuer leurs versements hypothécaires », explique Diana Petramala, Économiste principal au Centre de recherche urbaine et d’aménagement du territoire de l’Université Ryerson.

Le plein impact des taux plus élevés peut prendre des années à se manifester

Les ménages canadiens ont accumulé 1,96 milliard de dollars de dettes détenues par le biais d’hypothèques et de marges de crédit sur valeur domiciliaire, le rythme des emprunts hypothécaires a enregistré une augmentation record d’un mois à l’autre en avril, selon les données de Statistique Canada.

Jusqu’à présent, les taux d’intérêt les plus bas et les revenus plus élevés aident les Canadiens à gérer leur dette. Même si la dette hypothécaire a grimpé en flèche, l’endettement global en proportion du revenu disponible des ménages est inférieur à celui d’avant la pandémie.

Au cours des trois premiers mois de 2021, les Canadiens devaient 1,72 $ de dette sur le marché du crédit pour chaque dollar de revenu disponible. Cela se compare à 1,81 dollar de dette pour chaque dollar de revenu disponible à la fin de 2019.

Et à mesure que les Canadiens accumulent des dettes hypothécaires, ils remboursent également des types de dettes plus coûteux. La dette collective des ménages canadiens par carte de crédit, par exemple, est passée de près de 90 milliards de dollars en décembre 2019 à 74 milliards de dollars en avril 2021, selon les données de Statistique Canada.

Mais à mesure que les coûts d’emprunt augmentent, les ratios dette/revenu augmenteront probablement également, selon Petramala. Et des taux d’intérêt plus élevés peuvent non seulement forcer les propriétaires à utiliser une plus grande partie de leur revenu pour les paiements hypothécaires, mais ils rendront également plus difficile le remboursement de la dette hypothécaire, une part plus importante des paiements étant affectée aux frais d’intérêt au lieu du principal, note Petramala.

Un risque potentiel, dit Tal, est que la hausse de l’inflation force la Banque du Canada à accélérer le rythme des hausses des taux d’intérêt.

Les prix à la consommation au Canada ont augmenté de 3,4 % en glissement annuel en avril, au-dessus de l’objectif d’inflation de 2 % de la banque centrale.

Les derniers chiffres de l’inflation semblent élevés en partie parce qu’ils sont une comparaison avec le printemps 2020, qui a vu une forte baisse des prix. Un certain nombre de pénuries d’approvisionnement et d’impasses logistiques liées à la pandémie ont également entraîné des flambées de prix pour des matériaux comme le bois, des biens comme des meubles et des pièces comme les micropuces utilisés dans de nombreux appareils électroniques grand public ainsi que des voitures et des camions.

Bien que de nombreux facteurs faisant grimper les prix soient temporaires, on ne sait pas combien de temps dureront les pressions inflationnistes, dit Tal.

« Dans la mesure où l’inflation commence à augmenter et que la Banque du Canada est en retard en plus du fait qu’on ne s’en occupe pas assez rapidement, la vitesse à laquelle les taux d’intérêt devraient augmenter pourrait s’accélérer », dit-il. “Et c’est quelque chose qui peut avoir un impact négatif important sur le logement.”

La hausse des taux d’intérêt aurait un impact à court terme sur les acheteurs potentiels, qui verraient leur capacité d’emprunt réduite. Cela ralentirait probablement la demande de logements, dit Petramala.

Les fluctuations du taux d’intérêt directeur de la Banque du Canada ont un impact immédiat sur les prêts à intérêt variable et les produits de crédit comme les prêts hypothécaires à taux variable et les marges de crédit sur valeur domiciliaire.

Mais les variations du taux d’intérêt de la banque centrale peuvent également affecter les intérêts des prêts hypothécaires à taux fixe, en particulier si l’on s’attend généralement à ce que le changement soit durable.

Le plein effet de la hausse des taux d’intérêt sur le secteur du logement pourrait ne pas se manifester avant des années, car de nombreux propriétaires ont des prêts hypothécaires à taux fixe, ajoute-t-elle.

À la fin de 2020, 73 % des prêts hypothécaires en cours au Canada avaient un taux fixe, selon les conseillers hypothécaires du Canada .

Compte tenu de la popularité des taux hypothécaires fixes avec une durée de cinq ans, de nombreux Canadiens qui ont acheté une maison pendant la pandémie à des taux hypothécaires record pourraient ne pas ressentir l’effet des taux plus élevés jusqu’au renouvellement dans quatre ou cinq ans, dit Petramala.

« Nous ne connaîtrons pas vraiment l’impact des taux d’intérêt plus élevés sur les finances des ménages avant cinq ans », dit-elle.

Impact de la croissance du secteur du logement

Depuis que les prix des maisons ont commencé à augmenter l’été dernier, le secteur de l’habitation a été un moteur clé de l’économie à un moment où peu d’autres secteurs étaient en croissance, à part les dépenses gouvernementales.

Maintenant, la préoccupation est de savoir si l’économie canadienne peut allumer d’autres moteurs de croissance si le marché immobilier résidentiel se refroidit.

Alors que les investissements dans l’immobilier résidentiel ont explosé pendant la pandémie, le niveau de capital privé investi partout ailleurs a diminué, explique Jeremy Kronick, Directeur associé de la recherche à l’Institut CD Howe.

Des données récentes de Statistique Canada montrent que, pour la première fois dans l’histoire, les investissements dans le marché du logement représentent désormais plus de 50% de tous les investissements dans l’économie, ajoute Kronick.

C’est inquiétant, dit-il.

« Le marché du logement est évidemment précieux et emploie beaucoup de personnes et nous avons tous besoin d’un toit au-dessus de nos têtes », renchérit-il. “Mais nous avons aussi besoin… d’une économie prospère et d’entreprises qui croissent et embauchent, en particulier à la sortie de la pandémie.”

Le marché du logement  ​​y compris la construction résidentielle, les rénovations domiciliaires, les coûts de transfert de propriété et les dépenses en meubles, ainsi que l’entretien et les réparations domiciliaires représente désormais près de 28 % du PIB du Canada, a déclaré Petramala en citant des chiffres de Statistique Canada.

C’est nettement plus élevé que la tranche de 22 à 23% de l’économie que représentait le logement de 1987, et ce, jusqu’avant le début de l’urgence sanitaire COVID-19, note-t-elle.

Cela reflète en partie le fait que le logement a explosé pendant la pandémie, tandis que le reste de l’économie a subi « un très gros coup », dit-elle.

Mais Kronick voit également des preuves que l’investissement dans l’immobilier résidentiel évince d’autres types d’investissements commerciaux.

« Une banque qui obtient un nouveau dollar… préfère-t-elle prêter cet argent sur le marché du logement ou le prêter aux entreprises ? » demande-t-il. Avant la pandémie, la réponse avait tendance à être que la moitié irait aux emprunteurs hypothécaires et l’autre moitié aux entreprises. Maintenant, dit-il, “tout cela est pour les hypothèques”.

Cela reflète, en partie, les incitations intégrées qui sont antérieures à la pandémie. Par exemple, l’assurance prêt hypothécaire, qui est largement soutenue par le gouvernement et obligatoire au Canada pour les prêts hypothécaires dont la mise de fonds est inférieure à 20 %, induit que les prêts hypothécaires assurés sont essentiellement un « prêt sans risque pour une banque », dit-il.

Mais avec le boom pandémique du logement, l’immobilier résidentiel a siphonné encore plus de dollars d’investissement, dit Kronick.

Cependant, le Canada doit investir dans des entreprises qui peuvent alimenter le type de croissance qui peut conduire à une plus grande productivité, un facteur clé de l’augmentation du niveau de vie, a-t-il affirmé.

Le secteur du logement, aussi important qu’il soit pour l’économie et le marché du travail, n’est pas « un secteur généralement très productif », dit-il.

L’une des énigmes auxquelles le Canada est confronté à la sortie de COVID-19 est de savoir si la hausse des taux d’intérêt peut inhiber la croissance des prix des maisons sans freiner la reprise dans le reste de l’économie.

La hausse des taux d’intérêt, en particulier s’ils évoluent plus rapidement que les taux d’intérêt aux États-Unis, pourrait faire monter la valeur du dollar canadien, note Tal.

Ce serait une mauvaise nouvelle, dit-il.

« La dernière chose dont nous avons besoin est un dollar canadien plus fort, ce qui est négatif pour les exportations. » conclut Tal.