Articles

Le marché mondial du logement est brisé et divise des pays entiers

22 septembre, 2021   |   Par Kadiatou Bah

La flambée des prix de l’immobilier oblige les gens du monde entier à abandonner tout espoir de posséder une maison. Les retombées de cette constatation ébranlent les gouvernements, peu importe leur penchant politique.

C’est un phénomène auquel la pandémie a donné des ailes et il n’y a pas que les acheteurs qui sont touchés vu que les loyers montent en flèche dans de nombreuses villes. Le résultat est que le problème éternel des coûts du logement est devenu un problème d’inégalité aiguë en matière d’habitat, et une génération entière risque d’être laissée pour compte. 

« Nous assistons à des sections de la société qui sont exclues de certaines parties de notre ville parce qu’elles ne peuvent plus se permettre les appartements », a déclaré le maire de Berlin, Michael Mueller. « C’est le cas à Londres, à Paris, à Rome et malheureusement de plus en plus à Berlin », a-t-il fait constater.

Cette exclusion fait rapidement du logement une nouvelle ligne de fracture en politique, avec des répercussions imprévisibles. Le leader du syndicat allemand Verdi a comparé le loyer au 21e siècle au prix du pain, le déclencheur historique des troubles sociaux.

Les politiciens lancent toutes sortes d’idées sur le problème, du plafonnement des loyers aux taxes spéciales sur les propriétaires, en passant par la nationalisation de la propriété privée ou la transformation de bureaux vacants en logements. Nulle part il n’y a de preuve d’une solution facile ou durable. 

En Corée du Sud, le parti du Président Moon Jae-in a été battu aux élections municipales cette année après avoir échoué à s’attaquer à une augmentation de 90 % du prix moyen d’un appartement à Séoul depuis son entrée en fonction en mai 2017. D’ailleurs, une mise en garde contre un effondrement potentiel du marché du logement à mesure que les taux d’intérêt augmentent a été émise récemment par le principal parti d’opposition.

La Chine a renforcé les restrictions sur le secteur immobilier cette année et la spéculation grandissante sur une taxe foncière pour faire baisser les prix circule. Le coût d’un appartement à Shenzhen, la réponse de la Chine à la Silicon Valley, était égal à 43,5 fois le salaire moyen d’un résident au mois de juillet, une disparité qui contribue à expliquer la volonté du Président Xi Jinping de faire la promotion de la prospérité commune.

Au Canada, le premier ministre Justin Trudeau a promis une interdiction de deux ans sur les acheteurs étrangers en cas de réélection.

La pandémie a alimenté le marché mondial du logement à de nouveaux records au cours des 18 derniers mois grâce aux taux d’intérêt ultra-bas. Le constat global est accablant, une pénurie de production de logements, des changements dans les dépenses des familles et moins de maisons mises en vente sont des phénomènes généralement observés. Bien que ce soit une aubaine pour les propriétaires existants, les acheteurs potentiels ont de plus en plus de mal à entrer dans le marché. 

Ce à quoi nous assistons est « un événement majeur qui ne doit pas être ignoré », a écrit Don Layton, l’ancien PDG du géant américain des prêts hypothécaires Freddie Mac, dans un commentaire pour le Joint Center for Housing Studies de l’Université Harvard.

Aux États-Unis, où les prix nominaux des maisons sont plus de 30%  au-dessus de leurs précédents sommets au milieu des années 2000, les politiques gouvernementales visant à améliorer l’accessibilité et la promotion des prix attisent les risques d’accession à la propriété, laissant les premiers acheteurs plus à la dérive, a expliqué Layton.

Le résultat, en Amérique comme ailleurs, est un écart générationnel qui se creuse entre les baby-boomers, qui sont statistiquement plus susceptibles de posséder une maison actuellement, et les milléniaux doublés de la génération Z qui voient leur rêve d’en acheter une partir en fumée.

La dette immobilière existante pourrait semer les graines de la prochaine crise économique si les coûts d’emprunt commencent à augmenter. 

Dans la recherche de solutions, les gouvernements doivent essayer d’éviter de pénaliser soit les locataires, soit les propriétaires. C’est une tâche peu enviable.

Le gouvernement suédois s’est effondré en juin après avoir proposé des changements qui auraient abandonné les contrôles traditionnels et permis de fixer davantage de loyers par le marché. 

À Berlin, une tentative de maîtriser les augmentations de loyer a été annulée par un tribunal. Les militants ont recueilli suffisamment de signatures pour forcer un référendum sur la saisie des biens des grands propriétaires privés. La motion sera votée le 26 septembre prochain. Le gouvernement de la ville a annoncé vendredi qu’il achèterait près de 15 000 appartements à deux grandes entreprises propriétaires pour 2,46 milliards d’euros (2,9 milliards de dollars) afin d’élargir l’offre.

Anthony Breach, du groupe de réflexion Center for Cities, a même plaidé en faveur d’ un lien entre le logement et le vote britannique de 2016 pour quitter l’Union européenne. L’inégalité du logement, a-t-il conclu, « brouille notre politique ». 

Comme le montrent ces histoires du monde entier, c’est la recette du bouleversement.

Argentine

Avec une inflation annuelle d’environ 50 %, les Argentins ne sont pas étrangers aux hausses de prix dans l’immobilier. Mais pour les résidents de Buenos Aires, les augmentations de loyer ajoutent à la pression économique, et entraînent aussi cette désaffection politique.

Beaucoup pendant la pandémie ont déménagé d’un appartement du centre-ville vers un quartier résidentiel à la recherche de plus d’espace. Dans l’année qui a suivi cet exode, les loyers pour certains ont plus que triplé, réduisant ainsi la portion d’épargne destinée à l’achat d’une maison.

« Nous n’allons pas pouvoir planifier l’avenir comme nos parents l’ont fait, avec le rêve d’avoir notre propre maison », déclare une résidente de la ville. Le résultat est que la location, l’achat et l’immobilier en général deviennent beaucoup plus présents politiquement pour la nouvelle génération.

La législation adoptée par la coalition du Président Alberto Fernandez vise à donner plus de droits aux locataires en Argentine. En vertu des nouvelles règles, les contrats qui étaient traditionnellement de deux ans sont désormais prolongés à trois. Les propriétaires ne fixent plus les prix futurs, la banque centrale a créé un indice qui détermine de combien le loyer augmente la deuxième et la troisième année. 

Cela s’est avéré extrêmement controversé, avec des preuves que certains propriétaires immobiliers ont augmenté les prix de manière excessivement précoce pour contrer l’incertitude des augmentations réglementées plus tard. D’autres retirent simplement des propriétés du marché réduisant l’offre. Un gel des loyers en cas de pandémie décrétée par le gouvernement a exacerbé la pression. 

Les annonces d’appartements à louer dans la ville de Buenos Aires sont en baisse de 12% cette année par rapport à la moyenne de 2019, et dans la région métropolitaine environnante, elles sont en baisse de 36%, selon le site Web immobilier ZonaProp.

Hausse des loyers

« La loi avait de bonnes intentions, mais a aggravé le problème, tant pour les propriétaires que pour les locataires », a déclaré Maria Eugenia Vidal, ancienne gouverneure de la province de Buenos Aires et l’une des principales figures de l’opposition de la ville. Elle se présente aux élections de mi-mandat de novembre avec l’économiste Martin Tetaz et l’engagement d’abroger la législation.

« L’Argentine est un pays d’incertitude », a déclaré Tetaz, « mais avec les règles de logement, c’est encore plus incertain maintenant qu’avant ».

Certains acteurs du pays affirment que la réforme des loyers bien qu’imparfaite vient soutenir l’octroi de plus de pouvoir aux locataires après une récession prolongée qui a anéanti les revenus. Selon eux, une réglementation plus stricte est nécessaire pour trouver un équilibre entre rassurer les propriétaires et rendre le loyer abordable. « S’ils ne font rien pour contrôler cela dans la ville de Buenos Aires, il ne restera que les riches », affirme un résident de la Capitale.

Australie

Le gouvernement conservateur du premier ministre Scott Morrison a annoncé un « plan global d’abordabilité du logement » dans le cadre du budget 2017-2018, comprenant 1 milliard de dollars australiens (728 millions de dollars) pour stimuler l’offre de logement. Il n’a pas dompté les prix.

Le parti travailliste d’opposition n’a pas fait beaucoup mieux. Il a proposé de fermer une échappatoire fiscale lucrative pour l’investissement résidentiel lors des dernières élections en 2019, une politique qui aurait probablement fait baisser les prix des maisons. Mais cela a déclenché un exode vers les libéraux au pouvoir d’électeurs propriétaires de leur maison et a probablement contribué à la perte électorale du parti travailliste.        

Les leçons politiques ont été apprises beaucoup de citoyens ne voient pas l’aide en matière de logement arriver de la part de ceux qui gagneront les élections fédérales de l’année prochaine. 

« J’ai l’impression qu’aucun des principaux partis ne représente la voix de la jeune génération », se frustrait un résident.

C’est un sentiment partagé par Ben Matthews, un chef de projet de 33 ans dans une université de Sydney qui retourne vivre chez ses parents après que le propriétaire de la maison qu’il partageait avec trois autres personnes les ait ordonnés de quitter. C’est une expérience qu’il dit avoir trouvée décevante et stressante, surtout pendant la pandémie. 

Rester avec ses parents l’aidera au moins à économiser pour un dépôt sur un appartement d’une chambre. Mais même cela est un déclassement par rapport à son plan initial d’une maison de deux chambres afin qu’il puisse louer l’autre pièce. Les augmentations, dit-il, sont “tout simplement insensées”.

« Ce n’est peut-être pas avant que quelque chose ne se brise que nous obtiendrons l’impulsion politique nécessaire pour apporter des changements », dit-il.

Canada

Quelques jours après le déclenchement d’élections, Justin Trudeau a annoncé son intention d’interdire pendant deux ans aux étrangers d’acheter des maisons. S’il s’agissait d’une intervention dramatique pour aveugler ses rivaux, cela a échoué : ils sont largement d’accord.

Le premier ministre voulait gagner le vote du 20 septembre grâce à sa gestion de sa gestion de la pandémie, mais au lieu de cela, les coûts du logement sont un thème qui s’est plus imposé pour tous les partis. 

Les libéraux de Trudeau promettent un examen de « l’escalade » des prix sur des marchés comme Vancouver et Toronto pour mettre un terme à la spéculation. Le challenger conservateur Erin O’Toole s’engageait à construire un million de logements en trois ans pour faire face à la « crise du logement ». Le chef du Nouveau Parti Démocratique, Jagmeet Singh, veut introduire une taxe de 20 % sur les acheteurs étrangers pour lutter contre une crise qu’il qualifie d’« incontrôlable ». 

Face à une course qui a été  étonnamment serrée, Trudeau devrait attirer les jeunes électeurs urbains s’il veut avoir une chance de regagner sa majorité. Il a choisi Hamilton, à l’extérieur de Toronto, pour lancer sa politique du logement. Autrefois considéré comme un endroit abordable dans la région du Grand Toronto, il fait face à une pression croissante alors que les gens quittent la plus grande ville du Canada à la recherche de logements moins chers. Une maison unifamiliale moyenne coûtait 932 700 $ CAD en juin, une augmentation de 30 % par rapport à l’année précédente, selon la Realtors Association of Hamilton and Burlington.

La ville de Hamilton citait l’abordabilité du logement parmi ses priorités pour l’élection fédérale, mais cela ne rassure guère la majorité de la population. Hamilton, représente « l’une des pires crises du logement au Canada » selon les résidents du secteur.

Les promesses de rendre plus difficile pour les étrangers d’acheter des immeubles de placement sont bien vues. Le scepticisme se fait plus ressentir quant aux mesures qui pourraient décourager les propriétaires de louer leurs propriétés. Cela inclut l’offre de Trudeau de taxer ceux qui vendent dans les 12 mois suivants l’achat d’une maison.  « L’économie est tellement incontrôlable que le coût de la vie en général a grimpé en flèche », faisaient-ils constater. 

Singapour

En 2011, un tollé public à propos de la flambée des prix des logements dans la cité-État a contribué à ce qui était à l’époque le pire résultat des élections législatives du parti au pouvoir en plus de cinq décennies aux commandes. Alors que le Parti d’action populaire a conservé la grande majorité des sièges au parlement, c’était un signal d’alarme et une preuve des signes que la pression monte à nouveau.

Les prix des maisons privées ont le plus augmenté en deux ans, et au premier semestre 2021, les acheteurs, y compris les étrangers ultra-riches, ont dépensé 32,9 milliards de dollars singapouriens (24 milliards de dollars), selon ERA Realty Network Pte Ltd, basé à Singapour. C’est le double du montant enregistré à Manhattan sur la même période.

Cependant, près de 80% des citoyens de Singapour vivent dans des logements sociaux, que le gouvernement a longtemps promus comme un actif qu’ils peuvent vendre pour progresser dans la vie.

C’est un modèle qui a attiré l’attention de pays dont la Chine, mais qui est sous pression au milieu d’une frénésie sur le marché de la revente. Les maisons construites par le gouvernement de Singapour ressemblent peu aux concentrations urbaines à faible revenu ailleurs : au cours des cinq premiers mois de l’année, un nombre record de 87 appartements publics ont été revendus pour au moins 1 million de dollars singapouriens. Cela suscite des inquiétudes quant à l’abordabilité, même parmi les personnes relativement riches.

Alors que le gouvernement a imposé des restrictions aux propriétaires de résidences secondaires et aux acheteurs étrangers, les jeunes se sont résignés aux limites de ce qui peut être fait. 

La plupart des Singapouriens aspirent à posséder leur propre propriété, et la rareté des logements et la flambée des prix les empêchent de réaliser leur objectif, explique Nydia Ngiow, Directrice principale basée à Singapour chez Bower Group Asia, une société de conseil en politique stratégique. « S’il n’est pas relevé, ce défi peut à son tour créer un ressentiment à long terme envers le parti au pouvoir », prévient-elle.

C’est une perspective inconfortable pour le parti au pouvoir, même si l’opposition fait face à des obstacles pour remporter des sièges parlementaires. Le parti au pouvoir fait déjà l’objet d’un examen minutieux pour un plan de succession à la direction perturbé, et les coûts du logement pourraient ajouter à la pression.

 « À Singapour, la seule forme de protestation que nous puissions faire est de voter pour l’opposition », faisait remarquer un jeune citoyen.

Irlande

Claire Kerrane s’est ouverte sur le rôle du logement dans son obtention d’un siège au parlement irlandais, le Dail. 

Kerrane, 29 ans, faisait partie d’un grand nombre de législateurs du Sinn Féin à entrer au Dail l’année dernière après que le parti ait remporté de manière inattendue le plus grand nombre de votes de première préférence aux dépens des forces politiques dominantes de l’Irlande, le Fine Gael et le Fianna Fail. 

Alors que les deux principaux partis ont formé un gouvernement de coalition, le résultat a été un tremblement de terre politique. Le Sinn Féin était autrefois l’aile politique de l’armée républicaine irlandaise, mais il a gagné des adeptes plus pour sa politique du logement que pour sa volonté d’une Irlande unie.

« Le logement était définitivement un enjeu clé lors des élections et je pense que nos politiques et notre ambition en matière de logement ont joué un rôle dans notre succès électoral », a déclaré Kerrane, qui représente la circonscription parlementaire de Roscommon-Galway.

L’Irlande porte encore les stigmates d’un krach déclenché par une bulle immobilière qui a éclaté pendant la crise financière. Une pénurie de logements abordables signifie que les prix sont à nouveau en hausse.

Le Sinn Féin a proposé la construction de 100 000 logements sociaux et abordables, la réintroduction d’une interdiction pandémique des expulsions et des augmentations de loyer, et une législation pour limiter le taux que les banques peuvent facturer pour les prêts hypothécaires.

Ces politiques ont touché une corde sensible. Le plus récent Irish Times Ipsos MRBI  sondage fait en juin, a montré que 21% des répondants citaient le prix des maisons comme la problématique la plus susceptible d’influencer leur vote lors des prochaines élections générales, la même proportion que cité pour l’économie . Seuls les soins de santé l’ont emporté sur le logement en tant que préoccupation majeure.

Les autres partis en prennent note. Le 2 septembre, la coalition a lancé un plan de logement comme pilier de son programme pour cette législature, engageant plus de 4 milliards d’euros (4,7 milliards de dollars) par an pour augmenter l’offre, le plus haut niveau d’investissement gouvernemental jamais réalisé dans le logement social et abordable.  

Reste à voir si cela suffira à émousser la popularité du Sinn Féin. Au nord de la frontière irlandaise, pendant ce temps, le Sinn Féin détient une avance constante dans les sondages avant les élections à l’Assemblée d’Irlande du Nord prévues d’ici mai, le mettant sur la bonne voie pour nommer le premier ministre de la région pour la première fois depuis que la législature a été créée dans le cadre de l’Accord de paix de 1998.

Malgré tous les nombreux obstacles qui restent à la réunification, le Sinn Féin est sans doute plus proche que jamais d’atteindre son objectif fondateur en défendant les efforts visant à élargir l’accès au logement.