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Les prêteurs privés exigent que les propriétaires délinquants paient

24 décembre, 2023   |   Par Kadiatou Bah

Les propriétaires canadiens aux prises avec la hausse des couts hypothécaires sont devenus un problème si important que le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau a exhorté les banques à être indulgentes avec eux. Mais cette indulgence n’est pas appliquée par tous les types de prêteurs dans le marché.

En effet, Nick Kyprianou, président-directeur général de RiverRock Mortgage Investment Corp., adopte une approche plutôt dure.

Mise en contexte

Les sociétés de placement hypothécaire comme celle de Kyprianou se trouvent dans une situation délicate. La hausse des couts d’emprunt a mis à rude épreuve de nombreux propriétaires, un problème plus aigu de ce type d’emprunteurs étant donné que leurs prêts sont souvent assortis d’un taux d’intérêt de 10 % ou plus. 

Mais les entreprises ne disposent pas des ressources des grandes banques canadiennes, ce qui signifie que ce type d’emprunteurs soutient souvent qu’il ne peut pas se permettre de laisser des clients surchargés sauter des paiements aussi longtemps et qu’il doit agir plus rapidement pour endiguer les pertes.

Ainsi, dès que quelqu’un manque un paiement, l’entreprise de Kyprianou lui tend la main pour voir s’il peut se remettre sur les rails. Si la réponse est non, l’équipe lance un ultimatum. Le discours tenu est le suivant « vendez maintenant ou nous vendrons pour vous ».

« Nous sommes sortis de la porte de manière extrêmement agressive l’année dernière », a-t-il déclaré. « Quand les gens rencontraient des difficultés, nous leur disions : « Écoutez, vous ne pouvez pas vous le permettre. Passons en revue votre budget. OK, vendons la maison. Travaillons ensemble là-dessus parce que vous allez vous retrouver sans rien. », dit-il.

Frais de logement

C’est le genre de pression que le gouvernement Trudeau demande aux banques d’atténuer. Sa Charte canadienne des prêts hypothécaires, publiée le mois dernier, ébauche les lignes directrices que les banques devraient utiliser pour aider les emprunteurs à conserver leur logement après une hausse historique des taux d’intérêt. Alors que le coût élevé du logement apparaît comme l’un des plus grands défis du gouvernement, celui-ci cherche à éviter des saisies massives.

Mais les prêteurs privés tels que RiverRock de Kyprianou sont supervisés par les gouvernements provinciaux plutôt que par le gouvernement fédéral, ce qui ne donne à Trudeau aucun moyen de pression pour les obliger à respecter les nouvelles lignes directrices. 

Et Kyprianou affirme que les prêteurs privés qui se montrent trop indulgents avec les emprunteurs en souffrance risquent de faire faillite.

Certains signes indiquent que l’augmentation des nouvelles inscriptions à l’échelle nationale depuis le début de l’année est en partie due aux ventes forcées par les prêteurs privés. Et leur position en dehors de la règlementation fédérale pourrait pousser encore plus d’emprunteurs dans leurs bras.

Bien qu’ils ne représentent qu’environ 1,7 % du marché hypothécaire national, ces prêteurs alternatifs ont connu une croissance à deux chiffres ces dernières années. 

Cela s’explique en partie par le fait qu’ils n’ont pas à administrer le test de résistance hypothécaire imposé par le gouvernement fédéral, qui oblige les emprunteurs bancaires à prouver qu’ils disposent de suffisamment de revenus pour gérer le prêt si les taux augmentent.

Avec des taux actuellement à leur plus haut niveau depuis plus de deux décennies, de nombreux emprunteurs ne parviennent pas à franchir cette barre et sont davantage nombreux à se tourner vers les prêteurs privés.

Les actifs des 25 plus grandes sociétés de placement hypothécaire au Canada ont augmenté de 7,1 % au premier trimestre par rapport à l’année précédente, comparativement à une augmentation de 6 % pour l’ensemble du secteur, selon un récent rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Cette croissance continue signifie qu’un plus grand nombre de Canadiens se retrouveront confrontés à ce type de prêteurs beaucoup moins indulgents dans les années à venir.

« Cette crise financière générale que ressentent les Canadiens à tous les niveaux les pousse à se tourner vers des prêteurs alternatifs », a déclaré Matthew Gibson, un avocat spécialisé en droit immobilier basé à Hamilton, en Ontario.

Le nombre d’actions hypothécaires de la part de ces sociétés qui transitent par son bureau a triplé par rapport à l’année dernière, a-t-il expliqué.

« En raison de la vulnérabilité des prêteurs privés en termes de manque de ressources dont disposent les grandes banques, il est plus difficile de leur demander d’être aussi indulgents qu’une Banque comme la TD ou la RBC lorsqu’il s’agit d’une personne qui ne les a pas payés depuis six mois. », a déclaré Gibson.

Prendre du retard

De nombreux prêteurs alternatifs proposent des prêts avec des échéances plus courtes, souvent sur un ou deux ans, ce qui signifie que leurs emprunteurs ont été parmi les premiers à subir les effets de la hausse historique des taux d’intérêt des deux dernières années.

Cela veut aussi dire qu’une plus grande part des prêts des sociétés de placement hypothécaire sont en retard de paiement. Les prêteurs privés avaient près de 0,9 % de leurs prêts hypothécaires en souffrance à la fin du premier trimestre, selon les données de la SCHL. 

Pour les banques à charte, les prêts hypothécaires en souffrance ne représentaient que 0,15 %.

Les clients des prêteurs privés sont à la traîne

La récente série de lignes directrices du gouvernement Trudeau a essentiellement encouragé les banques à maintenir ces arriérés à un niveau bas. Pour certains prêteurs, cela signifie permettre aux clients de réduire, voire d’arrêter complètement, les remboursements mensuels du principal, donnant ainsi aux emprunteurs plus de temps pour rembourser un prêt.

D’autres laissent également leurs détenteurs de prêts hypothécaires à taux variable réduire leurs paiements d’intérêts, ajoutant ce montant au principal pour essentiellement augmenter le montant du prêt hypothécaire. Dans tous ces cas, cela signifie techniquement que l’emprunteur n’a manqué aucun paiement.

Mais si ces stratégies peuvent signifier garder les gens chez eux, elles ont également été critiquées par les observateurs du marché qui affirment qu’elles risquent de maintenir les propriétaires dans une dette perpétuelle.

Certains emprunteurs sont désormais confrontés à des périodes d’amortissement qui s’étendent sur plus de 35 ans, ce qui signifie qu’ils n’auront peut-être aucun moyen réaliste de rembourser leur dette à moins que les taux ne baissent ou que les valeurs n’augmentent.

Et l’urgence s’est accrue puisque les prix ont chuté de 12 % depuis leur sommet de 2022. Si la valeur d’une maison tombe en dessous du montant de l’hypothèque, le prêteur pourrait ne pas être en mesure de récupérer tout son argent et l’emprunteur se retrouverait sans rien lors de la vente. Chaque paiement d’intérêts manqué ne fait qu’aggraver le trou.

Dans cette situation, une remontée des prix pourrait sauver à la fois le prêteur et l’emprunteur, et c’est peut-être ce qu’espèrent les banques canadiennes. Cependant, pour les prêteurs alternatifs qui ne peuvent pas ou ne veulent pas tenir le coup, les options sont de demander une saisie, ce qui les amène effectivement à reprendre la propriété, ou de forcer l’emprunteur à vendre dans le cadre d’une procédure de vente forcée, où ils peuvent au moins conserver le produit supplémentaire de la vente une fois le prêt remboursé.

Forcer les ventes

Il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur le nombre de procédures de ventes forcées en cours. Mais certains signes indiquent que la pression exercée par les prêteurs alternatifs explique au moins en partie la raison pour laquelle le marché immobilier a vu davantage de maisons mises en vente ces derniers mois. 

La moyenne mobile sur trois mois des nouvelles inscriptions a augmenté de 21 % en novembre par rapport à mars, la hausse étant concentrée en Ontario, la province où les prêteurs alternatifs ont été les plus actifs.

À Toronto, la plus grande ville du Canada, le nombre d’annonces mentionnant les termes « hypothèque » est passé à environ 1 % du total, contre moins de 0,3 % il y a un an, selon les données compilées par l’agence immobilière locale Daniel Foch.

Cette mesure sous-estime probablement le nombre total de procédures de vente forcée en cours, car toutes les inscriptions ne la mentionneront pas comme cause, a déclaré Foch.