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L’inflation, seul indicateur valable pour faire part de la reprise économique

14 avril, 2021   |   Par Kadiatou Bah

L’économie offrait auparavant de nombreuses mesures qui, présumément, étaient capables de prédire quand la croissance économique se rapprocherait d’un ralentissement. Mais plus le temps passe, plus l’inflation s’avère la seule de ces métriques à être prise au sérieux.

Une flambée durable des prix convaincra probablement les décideurs politiques qu’il est temps de mettre une halte aux politiques expansionnistes adoptées pendant la pandémie, comme les dépenses publiques élevées ou les taux d’intérêt gardés assez bas. 

C’est pourquoi les données de ce mardi sur l’indice des prix à la consommation (IPC) aux États-Unis étaient si étroitement surveillées et attendues, même s’il faudra plus d’un mois pour faire de réels ajustements.

Dans le cadre d’un changement profond de la pensée économique qui s’est accéléré au cours de la dernière année, toute une série d’autres indicateurs sur lesquels on s’appuyait autrefois pour signaler les problèmes à venir se voit en disgrâce.

On pensait que les déficits budgétaires et la dette publique faisaient clignoter un signal d’alarme précurseur de mauvais augure à certains niveaux jusqu’à ce que de nombreux pays aient dépassé ces limites sans vraiment s’effondrer, en particulier l’année dernière. Les estimations sur le plein emploi qu’une économie pourrait créer sans surchauffe se sont avérées erronées dans les faits.

Les mesures de «l’ écart de production » sont censées saisir à quel point une économie s’est rapprochée de sa capacité maximale, mais de nombreux analystes ont conclu qu’elles se fondent sur un passé trop récent pour être un guide utile.

Abandonner ou minimiser tous ces critères en les remettant en question signifie que les officiels sont maintenant moins susceptibles de prendre le même type de décisions préventives que par le passé pour étouffer les expansions.

Ce virage équivaut aussi à un pivot vers l’humilité dans un métier qui n’est pas réputé pour en avoir. Les économistes avaient l’habitude de proposer leurs prédictions comme base d’une politique. Reconnaître que l’avenir est plein de choses qu’ils ne savent tout simplement pas est-il de mise?

James Galbraith, professeur d’économie à l’Université du Texas déclarait que « L’influence des projections à long terme s’est évaporée, et c’est une très bonne chose ».

Cette philosophie met la table pour accueillir le nouveau cadre d’alignement du taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine. La dernière décennie, la Fed augmentait les taux d’intérêt sans égard pour l’inflation qui demeurait modérée. Ces hausses se voyaient justifiées par un bas taux de chômage qui oscillait autour de 5%.

Maintenant, les responsables de la Fed reconnaissent que c’était une erreur, car la baisse du chômage n’a pas déclenché de hausse des prix. Ils disent maintenant qu’ils fonderont leur politique sur ce qui s’est réellement passé dans l’économie, plutôt que sur ce qui est censé se passer. 

À trois reprises dans un discours le mois dernier, le gouverneur de la Réserve fédérale, Lael Brainard, a mis en contraste les « résultats » avec les « perspectives » et a déclaré que la politique de base de la Fed serait revue. Dans le domaine de la politique fiscale également, on doit repenser efficacement les procédures d’intervention.

Les déficits budgétaires et la dette nationale en tant que part de l’économie étaient les paramètres de référence. L’Union européenne a, par exemple, imposé des plafonds de déficit de 3% au pays membre. Les économistes Carmen Reinhart et Ken Rogoff, dans une étude influente il y a dix ans, ont soutenu que lorsque la dette représente 90% du PIB, cela était un point de bascule dangereux.

Ce type de réflexion a conduit à des politiques d’austérité après le choc initial de la crise financière de 2008 et le résultat a été une faible reprise. Mais les prévisions budgétaires avaient tendance à être trop pessimistes, car elles ne prévoyaient pas que les taux d’intérêt resteraient bas.

Durant la pandémie, les gouvernements ont été plus disposés à dépenser, en particulier aux États-Unis, le président Joe Biden pousse des mesures d’une valeur de plus de 5 milliards de dollars au cours de sa première année de mandat. Ce qui constitue un vrai moteur pour un rebond plus rapide de l’économie américaine.

À certains égards, la nouvelle approche s’aligne sur l’école de pensée appelée théorie monétaire moderne. Plusieurs analystes affirment que les gouvernements ont la possibilité de relancer leurs économies avec des dépenses budgétaires, et soutiennent que l’inflation plutôt que les niveaux de déficit ou de dette est la mesure sur laquelle les autorités budgétaires devraient se baser.

« La chose que le courant dominant a fait comprendre, c’est qu’il est permis à l’économie de fonctionner un peu plus chaud », déclare Scott Fullwiler, économiste et professeur agrégé à l’Université du Missouri-Kansas City. « C’est ce que nous cherchons depuis des décennies », déclarait-il.

Malheureusement, selon Fullwiler, les économistes n’ont pas accordé suffisamment d’attention à la question de savoir ce que serait une vitesse maximale sûre et ils se sont trop concentrés sur les banques centrales, même si c’est désormais la politique budgétaire qui est à l’origine de la reprise économique.

« La profession économique a la capacité de déterminer à quel point l’économie peut fonctionner », dit-il. On aurait de meilleures réponses à l’heure actuelle «si les économistes avaient travaillé sur des cadres de politique budgétaire pour stabiliser l’économie et maintenir l’inflation à un bas niveau, au lieu d’une politique monétaire optimale, qui est fondamentalement hors de propos ».

Aux États-Unis, les opposants aux dépenses de Biden ont invoqué « l’écart de production » qui est la différence entre les biens et services qu’une économie produit réellement et le maximum qu’elle pourrait gérer durablement « niveau potentiel ».


L’ancien secrétaire au Trésor Larry Summers et le Comité pour un budget fédéral ont tous les deux fait valoir que le projet de loi de relance du mois dernier était beaucoup plus important que ce qui était nécessaire pour combler ce déficit et risquait de déclencher l’inflation en conséquence.

Mais de nombreux analystes sont sceptiques quant aux mesures. Robin Brooks, économiste en chef à l’Institut Finance Internationale, mène une campagne contre les « écarts de production » depuis des années.

L’écart de production est « un concept extrêmement important » qui englobe tous les grands appels politiques, dit-il. « Personne ne sait comment le mesurer », renchérit-il.

Les écarts de production dépendent des estimations du potentiel d’une économie. Un petit déficit signifie que la production est censée se rapprocher de ses limites de vitesse, et essayer de l’accélérer pourrait déclencher une hausse de l’inflation.

Mais Brooks dit que lorsqu’un pays a été sous-performant pendant une période prolongée, comme l’Italie au cours des dernières décennies, le résultat est que son niveau potentiel est généralement dégradé. Cela limite effectivement la façon dont les choses devraient être décidées .

Dans un rapport de février, les économistes de Goldman Sachs ont essayé une autre méthode de mesure et ont conclu que les écarts de production entre l’Italie et les États-Unis étaient probablement plus importants à la fin de l’année dernière que les estimations officielles ne le suggéraient. Cela signifie qu’il y avait moins de risque d’inflation et des arguments plus solides en faveur d’une politique expansionniste.

Depuis, la reprise américaine s’est accélérée, surprenant de nombreux analystes. Ce mardi, l’IPC du mois de mars a été dévoilé, entraînant des mouvements mitigés sur les marchés financiers.

Les prix à la consommation aux États-Unis ont enregistré leur plus forte hausse depuis 2012 et l’inflation qui est sous-jacente s’est accélérée en suivant la réouverture de l’économie grâce à la vaccination et aux mesures de relance budgétaire. L’IPC a progressé de 0,6% sur un mois, après février où une hausse de 0,4% était observée, selon les statistiques officielles publiées mardi par le département du Travail.