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Quand la crise du logement tend à prendre le dessus sur l’immigration

2 novembre, 2023   |   Par Kadiatou Bah

Le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau ralentit l’augmentation de ses principaux objectifs en matière d’immigration, alors que l’on craint de plus en plus que la croissance démographique record n’exacerbe la pénurie de logements.

« Le Canada vise à accueillir 485 000 résidents permanents l’année prochaine et 500 000 en 2025, soit les mêmes niveaux annoncés dans le plan de l’année dernière », a déclaré mercredi le ministre de l’Immigration, Marc Miller.

À partir de 2026, le gouvernement stabilisera ce niveau à un record, soit un demi-million. C’est la première fois depuis une décennie que le gouvernement n’augmente pas ses objectifs annuels.

La baisse consécutive à l’augmentation continue des niveaux d’immigration suggère que le gouvernement tente d’apaiser les critiques selon lesquelles la croissance démographique explosive a submergé le logement et les infrastructures. 

Pourtant, le maintien d’un objectif record de 500 000 montre qu’il s’en tient également à son plan plus large visant à ajouter rapidement plus de travailleurs pour éviter le déclin économique dû à une population vieillissante.

« En stabilisant le nombre de nouveaux arrivants, nous reconnaissons que le logement, la planification des infrastructures et la croissance démographique durable doivent être dûment pris en compte », a déclaré Miller à Ottawa. 

« Nous atteignons le juste équilibre pour faire croître l’économie du Canada, tout en maintenant nos traditions humanitaires, en soutenant l’immigration francophone et en développant une approche plus collaborative de planification des niveaux avec nos partenaires.

Même si les résidents permanents ne sont pas les seuls nouveaux arrivants que le pays accueille en nombre record, ils constituent l’épine dorsale du système d’immigration du Canada. 

Ces arrivées, ainsi que celles des étudiants internationaux et des travailleurs temporaires, ont contribué à porter la croissance démographique du pays sur une période d’un an jusqu’en juillet à un record de 2,9 %, l’un des taux les plus rapides au monde.

Depuis que Trudeau est arrivé au pouvoir en 2015, son gouvernement a pu compter sur un large soutien du public pour relever constamment les objectifs en matière d’immigration. 

Grâce à la géographie relativement isolée du pays partageant des frontières terrestres uniquement avec les États-Unis, le Canada peut mieux contrôler l’afflux par rapport à bon nombre de ses pairs.

Pendant deux décennies, une majorité de Canadiens ont rejeté l’hypothèse selon laquelle le pays acceptait trop de nouveaux arrivants, et le Canada s’est démarqué à l’échelle mondiale par son attitude et son approche à l’égard de l’immigration. 

Mais la flambée des prix de l’immobilier a poussé les niveaux de soutien à l’immigration à leur plus bas niveau depuis deux décennies. Il s’agit d’un nouveau défi pour un gouvernement déjà confronté à un tollé face à une crise de l’accessibilité financière.

Des vents contraires observés

De nouvelles recherches suggèrent que davantage de nouveaux arrivants au Canada ont choisi de partir au cours des dernières années, une menace pour un pays qui dépend de l’immigration pour stimuler sa croissance économique.

Pourtant selon le rapport de l’Institut pour la citoyenneté canadienne et Conference Board du Canada, publié mardi, les risques que le Canada ne parvienne pas à répondre aux attentes des nouveaux arrivants, qui sont confrontés, entre autres problèmes, à une accessibilité de plus en plus abordable du logement, à un système de santé mis à rude épreuve et au sous-emploi ne sont pas négligeables.

 Il a également souligné à quel point la désillusion des immigrés peut ralentir les progrès, même dans un pays qui établit régulièrement de nouveaux records de croissance démographique.

« C’est une réflexion sur notre société au sens large et sur les échecs les plus insolubles que nous avons. Si les immigrants disent « non, merci » et passent à autre chose, cela constitue une véritable menace existentielle pour la prospérité du Canada », a déclaré Daniel Bernhard , directeur général de l’Institut pour la citoyenneté canadienne, un groupe de défense pro-immigration, dans une interview. « Nous devons nous réveiller et reconnaitre que si nous n’obtenons pas de résultats, les gens partiront. Et s’ils partent, nous aurons des ennuis ».

Le rapport montre des pics dans les taux annuels d’immigrants quittant le Canada en 2017 et 2019, atteignant des sommets en 20 ans de 1,1 % et 1,18 %, respectivement.

Cela se compare à la moyenne de 0,9 % des personnes ayant obtenu la résidence permanente après 1982 qui quittent le Canada chaque année. Même si les chiffres ne semblent pas significatifs, ils s’additionnent au fil du temps et peuvent entrainer une attrition de 20 % ou plus d’une cohorte d’arrivée sur 25 ans.

Le soutien en baisse face à l’immigration, combiné au mécontentement croissant des nouveaux arrivants, constituera un nouveau défi pour un gouvernement qui tente d’apaiser les protestations suscitées par une crise de l’accessibilité financière tout en étant compétitif dans une course mondiale aux travailleurs qualifiés.

Le manque d’enthousiasme à l’idée de rester au Canada, qui a conduit certains nouveaux arrivants à migrer, est également à l’origine d’une forte baisse du nombre d’immigrants choisissant de devenir Canadiens, selon Bernhard. La proportion de résidents permanents ayant acquis la citoyenneté dans les 10 ans suivant leur arrivée a chuté de 40 % entre 2001 et 2021.

« Si le Canada ne peut pas remédier à ces problèmes et ne peut pas fournir ces services essentiels à un prix abordable, les immigrants partiront », a déclaré Bernhard.