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Quand les agents immobiliers menaient la lutte contre le logement équitable

5 octobre, 2021   |   Par Kadiatou Bah

En 1964, neuf mois après que Martin Luther King Jr. ait prononcé son discours « I Have a Dream » sur les marches du Lincoln Memorial, un courtier immobilier et ancien journaliste de Fresno, en Californie, a prononcé un discours porteur, mais différent. Sa croisade faisait partie d’une « grande guerre » contre les lois sur le logement équitable.

Pour la petite histoire

Dans le cadre d’une vaste campagne de relations publiques et politiques, Lawrence “Spike” Wilson, Président de la puissante California Real Estate Association (CREA), a prononcé des discours, conçu des points de discussion et créé des messages visant carrément à contrer le Rumford Act. Une forme pionnière de loi sur le logement adoptée en 1963 qui visait à lutter contre la discrimination que les résidents de couleur subissaient de la part des propriétaires et des agents immobiliers. CREA a aidé à mener la lutte contre la loi à l’échelle de l’État et à soutenir la proposition 14. Cet amendement visait à abroger la loi Rumford et à rendre illégale l’adoption de toute future législation de ce type. Ainsi une campagne nationale pour repositionner les agents immobiliers en tant que combattants de la libre entreprise était engagée.

Invoquant le droit à certaines libertés d’association, de choix et de manière vitale, les droits de propriété privée ainsi que des références au patriotisme et à la promesse américaine, Wilson a fait valoir que les propriétaires privés et les courtiers immobiliers étaient obligés de résister au soi-disant « logement forcé » et excès du gouvernement via les lois anti-discrimination. 

La CREA a publié à l’époque des annonces pleine page dans les journaux californiens vantant une « déclaration des droits » pour les propriétaires fonciers. L’association avait promis de « sauver les droits du nouvel « homme oublié » le petit propriétaire américain contre les « minorités militantes » et demander des « privilèges spéciaux ». 

« Nous sommes impliqués dans une grande bataille pour la liberté », avait déclaré Wilson dans sa banderole, qu’il a surnommée “Gettysburg 1964”. « Nous avons préparé un dernier lieu de repos pour la volonté de détruire la liberté individuelle», avait-il renchéri.

De nos jours…

Dans « Freedom to Discriminate », un nouveau livre qui retrace le rôle de la profession immobilière dans la perpétuation de la ségrégation du logement aux États-Unis, l’auteur Gene Slater dit qu’il y a une raison pour laquelle la lutte contre la Proposition 14 de Californie, adoptée en 1964, semble très contemporaine. Les termes de ce débat n’ont pas seulement influencé le discours sur le logement moderne, avec ses batailles rangées sur le  zonage et « l’ abolition des banlieues ». Ils ont façonné des décennies de pensée conservatrice et de positionnement politique.

« L’idée clé de la liberté ici était qu’il existe un droit unique et étroit, si vous l’élevez, vous en faites un droit absolu », explique  Slater qui est un conseiller de longue date pour l’industrie du logement abordable. « Et quand c’est quelque chose qui est absolu et ne peut jamais être enfreint, cela signifie que personne d’autre n’y a de droits», a-t-il expliqué.

Freedom to Discriminate, son premier livre, plonge profondément dans l’histoire de la profession immobilière, depuis son émergence via les associations professionnelles locales à l’aube du 20e siècle jusqu’à l’impact massif de l’industrie immobilière sur le logement et la ségrégation d’après-guerre. Slater a obtenu un accès unique aux dossiers et aux correspondances de nombreux groupes différents, y compris CREA, qui a changé son nom pour California Association of Realtors  en 1975. 

Il se concentre sur la façon dont la lutte pour le logement abordable à l’ère des droits civiques a incité de nombreux agents immobiliers qui ont longtemps profité et promu le logement séparé en tant que norme à créer une nouvelle façon de décrire ce que Slater appelle la « liberté exclusive ». Ce langage a bien survécu à la proposition 14, qui a été annulée par la Cour suprême de Californie en 1966 pour violation de la clause de protection égale. La façon dont les leaders du secteur immobilier en Californie ont dénoncé les lois sur le logement équitable il y a plus de 50 ans, éclairés par la vision et le vocabulaire de Wilson, fait écho à une grande partie de la rhétorique conservatrice d’aujourd’hui.Si vous voulez en savoir plus sur les origines progressistes des agents immobiliers, de la façon dont l’industrie a contribué à la réaction de la droite américaine à la législation sur le logement équitable et des raisons pour lesquelles ce débat se poursuit encore aujourd’hui, je vous invite à aller lire le roman « Freedom to Discriminate ».