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Tentative ratée de prévisions sur l’investissement immobilier

19 mars, 2021   |   Par Kadiatou Bah

En début de l’an 2008, le taux de défaut à cinq ans des titres de créance garantis (CDO) cotés AAA était de 0,12%. La note Standard & Poor (S&P) signifiait que le taux de défaut prévu des créances n’était que 12%, mais à la fin de 2008, le taux de défaut observé s’est rapproché de 28%.

Cet écart entre la prévision et la réalité était une erreur de prédiction colossale. En fait, les titres adossés à des créances hypothécaires (Mortgage Backed Securities ou MBS) étaient extrêmement sensibles aux variations des conditions économiques et leurs défauts ont déclenché la crise financière mondiale en 2007- 2008.

Au début de la pandémie mondiale qui a secoué le monde en 2020, aucune prédiction selon laquelle le marché du logement serait aussi chaud et fructueux qu’il l’est maintenant n’a été lancée. En effet, la plupart des prédictions pointaient dans l’autre sens et il y avait une peur palpable de l’inconnu.

Les pertes d’emplois devaient tirer l’économie vers le bas et, avec elles, un ajustement et une décote dans l’immobilier, selon les anticipations. Le constat est qu’aujourd’hui, la dette est bien présente chez les particuliers, mais l’état des lieux montre qu’il y a eu une certaine migration. Les dettes sur les cartes de crédit et les prêts automobiles sont remboursées puis remplacées par des prêts hypothécaires à faible taux d’intérêt.

Les prédictions erronées ne sont pas nouvelles en économie. Comme le dit la vieille blague, les économistes ont correctement prédit neuf des six dernières récessions. Alors pourquoi est-il si difficile de faire des prédictions? Et que peut-on attendre aujourd’hui du secteur immobilier?

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les prédictions sont loupées, trop pour être toutes couvertes dans un seul article, alors en voici deux:

  • La pensée logique versus la pensée rapide;
  • Ne pas se préparer à se tromper.

Pensée logique versus Pensée rapide

Daniel Kahneman, dans son livre Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée (Thinking, Fast and Slow 2011), explique deux systèmes de pensée le rapide et le lent. De façon trop simplifiée, le « rapide » est comme une réaction intuitive, émotionnelle, des conclusions sont tirées rapidement et le « lent » est comme une évaluation analytique ou une pensée critique et logique, là le temps de réflexion est pris.

L’humain prend la plupart de ses décisions avec ses émotions, ensuite il cherche à les justifier avec une raison logique.

Ce qui aggrave les choses, c’est l’abondance actuelle de l’information dont nous disposons. Internet a fait exploser notre accès à l’information, les réseaux sociaux ont décentralisé les médias et nous sommes plus que jamais en mesure d’être sélectifs dans les informations que nous choisissons de voir et considérer.

De nombreux investisseurs ont récemment été pris par leurs émotions et la frénésie pour la recherche rapide de richesses. Ils ont ignoré les principes fondamentaux de la « pensée lente ». Ils ont pris un risque en pariant que le cours des actions de GameStop par exemple, continuerait à monter en raison du battage médiatique qui s’est produit après une courte compression économique observée.

Si nous croyons en quelque chose, nous cherchons simplement à le confirmer en ne lisant que les informations qui soutiennent notre point de vue et en ignorant ce qui s’oppose à nos croyances. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation d’hypothèse.

Certains utilisateurs de Reddit par exemple, ne recherchaient pas de nouvelles dans le domaine de l’investissement qui étaient opposées à leur position; ils étaient dans une frénésie d’achat alimentée par les réseaux sociaux. Même après que le cours de l’action GameStop se mettait à varier continuellement, ils réfléchissaient vite étant dans l’euphorie à la pensée de devenir millionnaire du jour au lendemain.

Ici on parle de ceux qui ont vu le titre passer de 4 $ à 300 $, mais qui ont quand même décidé « d’investir ». Ils sont allés contre la logique et la loi des probabilités. 

L’émotionnelle avait pris les devants sur le rationnel.

Ne pas se préparer à se tromper

Si S&P avait supposé que le risque associé aux CDO comportait une certaine marge d’erreur, et s’en était prévalue, l’impact sur le secteur financier n’aurait pas été aussi profond et il n’y aurait peut-être pas eu de crise financière mondiale en 2007-2008.

Rétrospectivement, l’hypothèse selon laquelle les défauts de paiement sur certains logements ne déclencheraient pas d’autres défauts semble manifestement erronée. Si les analystes de S&P s’étaient préparés à se tromper sur cette hypothèse de base, leur fourchette de taux de défauts probables aurait alors été trop grande pour être ignorée. Le signal d’alarme se serait déclenché.

De plus, si les investisseurs de GameStop se préparaient à une réduction qui était probable du jour au lendemain de leur investissement de 80%, beaucoup n’auraient pas été dans un article du Wall Street Journal expliquant comment ils prévoient de rembourser les prêts qu’ils ont contractés pour investir. Le pari est le bon mot pour décrire la situation.

L’engouement pour l’immobilier au Canada

Partout au Canada, le constat est qu’il y a un appétit insatiable pour l’immobilier, que ce soit chez les propriétaires, les investisseurs ou promoteurs, tous sont dans la danse.

Cet appétit est basé sur des prédictions et des attentes, mais n’oublions pas que nous pourrions nous tromper, car ce n’est pas si évident de prédire le futur.

Habituellement, les prix augmentent davantage au cœur des villes en raison de l’urbanisation, puis la pression se répercute sur les zones plus rurales. En 2021, nous constatons le contraire à cause de la pandémie qui a changé les tendances. Les appartements des centres urbains ne se portent pas très bien.

Le taux de vacance locative dans la région métropolitaine de Vancouver et de Toronto a augmenté pour des raisons telles que la faible immigration, le télétravail et les étudiants qui étudient virtuellement. En même temps, les prix et les ventes des maisons ou condos augmentent dans les banlieues et nous assistons à une migration de personnes loin des centres-villes.

Admettre que l’avenir des prix dans l’immobilier est incertain est de mise. Dans la même optique, il est difficile de prévoir à quoi ressemblera la reprise économique. Le gouvernement ne le sait pas lui-même, encore moins les économistes et les analystes. L’économie est complexe!

Les années 2006-2007 ont enseigné que lorsque la population commence à considérer l’immobilier comme un investissement jugé sûr et que l’environnement des prêts permet la spéculation dans les marchés financiers, à un moment donné, cela fait pencher la balance et la prédiction de la hausse des prix devient fausse. Nous voyons des modèles là où il n’en existe pas et avons une vision à très court terme, il faut donc faire attention.

Se tromper est une éventualité à prendre en compte

Appliquer la pensée rapide à l’immobilier serait de suivre le troupeau et acheter en suivant le mouvement de la populace. La pensée lente suggère de faire une évaluation plus disciplinée et de se préparer à se tromper. En se posant les bonnes questions et en tentant d’y répondre, les prédictions deviennent plus rationnelles et un peu moins émotionnelles.

– Quand les taux d’intérêt vont-ils augmenter? Impliquant sûrement une hausse des paiements sur la dette et réduisant l’incitatif sur les investissements. Alors quel impact une hausse des taux d’intérêt aura-t-elle réellement sur l’immobilier en général?

– À quelle vitesse prévoyons-nous un retour à la normale au bureau? Cela diminuerait l’engouement sur les habitations pour les banlieues et la reprise dans les centres urbains en se fiant aux tendances passées ou la tendance actuelle à la désurbanisation se poursuivra après la pandémie?

– Quel effet de levier puis-je gérer avec mon achat dans les différents scénarios?

Encore une fois, il n’y a pas de boule de cristal pour prédire l’avenir, mais en regardant l’histoire, tirer des leçons est possible ainsi que prendre des décisions éclairées. 

L’urbanisation s’est poursuivie malgré la réapparition de la peste noire dans les années 1350. L’urbanisation s’est poursuivie malgré la grande peste de Londres dans les années 1660. Malgré toutes les grandes maladies qui se sont propagées en Amérique au XIXe siècle: le choléra, la fièvre jaune…, l’urbanisation a juste continué à progresser. Même la pandémie de grippe de 1919-1920 a été suivie d’une formidable décennie de construction de villes. C’est une belle leçon de résilience. 

En tant que professionnel en finance, je suis partisane de l’immobilier et je pense que c’est la meilleure classe d’actifs où investir. Pour les décisions d’investissement personnel, la recommandation reste l’approche logique, quel que soit le contexte économique. Envisagez de nombreux scénarios, basez vos décisions sur votre capacité financière et, au cas où, préparez une analyse des inconvénients possibles afin d’être paré à toutes les éventualités.