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Fondations en probabilités et modélisation du risque

20 avril, 2020   |   Par Philippe Foisy

La crise du COVID-19 que nous vivons au moment de la rédaction est, pour plusieurs, la première expérience d’une telle intensité de leur vie. La plupart d’entre-nous n’a pas vécu la Première ou la Seconde Guerre mondiale ni la pandémie de grippe espagnole immédiatement après la Première Guerre mondiale. Sans se perdre à tenter de prédire l’avenir à court terme dans la crise de COVID-19 qui secoue la planète, nous pouvons déjà tirer des leçons sur l’importance de la gestion de risque en tant que propriétaire d’immeubles multilogements et celle de la modélisation des flux monétaires qui découlent de l’opération d’un parc immobilier selon différents scénarios (certains plus pessimistes que d’autres).

Certaines fondations en probabilités et modélisation du risque

J’aimerais commencer par certains principes de base qui serviront tout au long de cet article. Bien que ces principes soient plus « théoriques » et que certains investisseurs immobiliers pourraient dire qu’ils sont très difficile à appliquer concrètement en immobilier, les comprendre est primordial à la mise en place d’une structure de gestion de risque efficace qui pourrait un jour vous éviter la faillite.

Probabilités conditionnelles

Le principe de probabilités conditionnelles est souvent illustré par l’énoncé « sachant que » ou en comparant « à priori » et « à postériori ». N’importe qui ayant déjà étudié les probabilités des jeux de cartes (blackjack, poker, etc.) comprend l’importance des probabilités conditionnelles. Dans les faits, chaque nouvelle carte tirée est « retirée » du paquet, donc modifie les chances de tirer une carte spécifique au prochain tour. Ce concept est très bien illustré dans le film américain 21 (2008), où un professeur émérite de MIT demande à ses étudiants la réponse au problème de Monty Hall pour démontrer l’importance des probabilités conditionnelles. Le problème de Monty Hall montre aussi comment le principe de probabilités conditionnelles n’est pas toujours bien compris par le public en général (un exemple extrême, bien sûr). Voici l’énoncé dudit problème :

« Dans un jeu télévisé, l’animateur vous présente trois portes, derrière lesquelles on peut trouver les prix. Derrière une des trois portes se trouve une voiture neuve avec laquelle le participant pourra partir s’il choisit cette porte. Derrière les deux autres, se trouve une chèvre. Le participant choisit. Sans ouvrir la porte choisie, l’animateur ouvre une des deux autres portes. Le résultat : une chèvre. L’animateur offre alors le choix de conserver la porte initialement choisie ou la porte qui reste. Que choisiriez-vous? »

La plupart des gens répondent instinctivement qu’ils sont indifférents entre garder le choix initial ou changer, puisqu’ils calculent une chèvre dévoilée et il ne reste que deux portes (une avec une chèvre, une avec la voiture neuve), donc ils ont 50 % de chances de gagner la voiture. Si les probabilités conditionnelles étaient bien comprises, cependant, vous changeriez votre choix, puisque ceci vous donne, en effet, 67 % des chances de gagner la voiture. Pourquoi? Les probabilités conditionnelles tiennent compte non seulement du fait qu’il ne reste qu’une chèvre derrière les portes, mais aussi du fait que vous avez déjà choisi initialement. La manière la plus simple que j’ai trouvé au fil des ans de vulgariser ceci est d’expliquer qu’au départ, il y avait 67 % des chances de sélectionner une chèvre. Maintenant qu’on vous a dévoilé une des deux chèvres, vous serez gagnant deux fois sur trois en modifiant votre choix initial.

Un chemin un peu tordu pour expliquer l’importance des probabilités conditionnelles, peut-être, mais il est essentiel de comprendre les probabilités auxquelles nous faisons face en tant qu’investisseur immobilier. Au moment de la rédaction, en pleine crise du COVID-19, les probabilités de certains scénarios catastrophe ou risques majeurs sont beaucoup plus élevées que lors de la parution de mon dernier article; les probabilités auxquelles on fait face peuvent changer très rapidement. Il est important de bien comprendre ceci afin de réagir adéquatement. Avant la crise, peu de gens incluaient (même avec une probabilité minime) dans les tests sur leurs parcs immobiliers un scénario de crise de liquidité bancaire qui surviendrait en même temps que l’augmentation à 50 % des mauvaises créances d’une durée d’un an. Ce devrait être pratique courante de tester des scénarios extrêmes plusieurs fois par an d’un point de vue de gestion de risque; un besoin rendu encore plus évident alors que nous traversons une crise au jour le jour et que les probabilités évoluent sans cesse. Un tel scénario n’est plus aussi farfelu qu’il ne l’était.

Distributions de probabilité : distribution normale et distributions à queues épaisses

Cette section est tout aussi importante que la précédent pour bien comprendre la modélisation de risque dans son ensemble. La plupart d’entre-vous ont été exposés, à un moment ou un autre, à la distribution de normale des probabilités, traditionnellement représentée sous forme de cloche.

Distribution normale

Pour la plupart des gens, la distribution normale est plus familière et, pendant longtemps, elle fut la référence en termes de distribution du risque, et ce même dans les cercles les plus sophistiqués. Elle est parfaitement symétrique et plusieurs phénomènes statistiques naturels sont représentés de cette façon avec énormément de fiabilité. En gestion de risque, le problème de la distribution normale se manifeste par son incapacité à fidèlement modéliser les événements plus extrêmes. Par exemple, si, dans une semaine normale, l’écart type du rendement hebdomadaire boursier est de 1 % et la moyenne de +0.2 %, la distribution normale englobera, dans 95 % des scénarios, des résultats entre –1.8 % et 2.2 %. Le modèle indiquera également que des rendements négatifs au-delà de 2.8 % sont pratiquement impossibles, alors que nous savons très bien que, dans les faits, la bourse peut, une semaine donnée (ou n’importe quel intervalle de temps donné), connaître des épisodes plus extrêmes avec des rendements hebdomadaires pouvant aller jusqu’à –20 %.

En résumé, cette distribution porte très bien son nom et s’applique plus facilement à des risques dits diversifiables (décrits en détails plus bas), plus standards dans leur nature. Dans le jargon mathématique, la distribution normale tombe dans la catégorie des distributions à queues minces, ce qui signifie que la sévérité des événements plus éloignés dans la distribution (1 % de chance et moins) ne monte pas de façon drastique et démontre un comportement plus régulier.

Ce qui m’amène à parler des distributions à queues épaisses (souvent appelées heavy tail dans le jargon de la gestion de risque). Ces distributions sont de nature asymétrique et reflètent mieux les très faibles probabilités (1 % et moins) de conséquences très graves. Ces très faibles probabilités nous intéressent tout particulièrement dans un contexte de gestion de risque, car ce sont les événements catastrophiques qui nous intéressent lorsqu’il s’agit de minimiser le risque de faillite. Les lois des probabilités à queues épaisses les plus connues sont les lois log-normale et de Pareto (citée par plusieurs à toutes les sauces). On a, en effet, tous déjà entendu quelqu’un nous parler du fameux 80–20 de Pareto, qui est, en fait, un sous-ensemble de la distribution, si on insère des paramètres particuliers dans le modèle, mais le concept demeure le même : là où une distribution dont la sévérité des résultats est plus concentrée dans la queue de la distribution. On arrive à la généralisation que « 80 % des profits proviennent de 20 % des clients » ou que « 95 % de la richesse mondiale appartient à 1 % des individus. »

C’est le même principe en gestion de risque, d’où l’importance d’introduire le concept de distributions à queues épaisses en probabilités. Ce que l’on cherche à discerner sont les résultats de pertes dans le fameux 1 % à 5 % des scénarios. Ces pertes ont souvent, par leur nature, davantage tendance à suivre le modèle de Pareto ou log-normal plutôt qu’une distribution normale; c’est-à-dire qu’elles prendront rapidement énormément d’ampleur au fur et à mesure qu’on s’aventure dans les scénarios moins probables. C’est un concept primordial à considérer dans une optique de gestion de risque. La plupart des investisseurs élaborent quelques scénarios plus pessimistes dans leur analyse de propriétés multilogements à l’acquisition. C’est une bonne approche car ce qui nous intéresse dans ce contexte est le rendement et un certain niveau de conservatisme pour faire face à certains risques de base. Lorsque vient le moment de gérer son portefeuille immobilier, cependant, on doit absolument s’intéresser aux risques plus extrêmes afin de mettre en place les bonnes stratégies de mitigation / réduction.

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Exemple de distribution log-normale avec différents paramètres illustrant la différence avec une distribution normale. Notez l’asymétrie de la distribution et comment les probabilités restent non négligeables même si on s’écarte de plusieurs écarts types (σ) de la moyenne (µ).

Mesure importante en gestion de risque : VaR

Bien que difficile à appliquer en pratique à l’immobilier par manque de données financières, le concept derrière deux des mesures les plus couramment utilisées par les banques et autres grandes institutions financières (assureurs, fonds de couverture (hedge funds), etc.) peut grandement aider à bien former la vision globale d’un investisseur immobilier dans son approche à la gestion de risque. La première et la plus populaire de ces mesures est la valeur à risque (VaR) car elle est plus simple à calculer et à expliquer :

La valeur à risque est une notion généralement utilisée pour mesurer le risque de marché d’un portefeuille d’instruments financiers. Elle correspond au montant de pertes qui ne devrait être dépassé qu’avec une probabilité donnée sur un horizon temporel donné.

Ici, nous avons trois composantes : un montant ($), une probabilité (p) et un horizon temporel (t). La seule composante plus difficile à évaluer concrètement (par manque de données) est la probabilité précise de perte d’opération. Il est à noter qu’on peut évaluer autre chose que la perte opérationnelle avec une VaR. Elle peut également servir pour un besoin en liquidité, ce qui est directement applicable et pertinent en investissement immobilier. En ce qui concerne l’horizon temporel, on peut utiliser une année, un trimestre, un mois, une semaine, etc. Ceci dépend de l’objectif visé et de risque spécifique qu’on veut utiliser, selon votre bon jugement.

Comme nous nous intéressons aux probabilités que des événements plus pessimistes puissent survenir et ultimement résulter en faillite (ce que nous cherchons à éviter; d’où l’importance de ces calculs pour gérer le risque), nous pouvons penser à certains scénarios qui arrivent à une fréquence donnée. Nous pouvons donc percevoir une VaR(95) qui représente le 95e percentile de la distribution comme un événement survenant à tous les 20 ans. Le 99e percentile, lui, surviendrait à tous les 100 ans et on se protège 99.5 % du temps en évaluant un scénario qui survient à tous les 200 ans. Je vous l’accorde, c’est très subjectif et bien que nous aimions tous l’exactitude scientifique, lorsque nous travaillons au niveau statistique, nous devons parfois marier l’art et la science. C’est ce qu’on fait, en quelque sorte, à chaque fois que nous tentons d’extrapoler l’avenir à partir d’événements passés.

La question à se poser pour ramener l’enjeu sur un terrain plus pratique est : quel événement connu des 100 à 200 dernières années en est un qui est survenu tous les 20 ans (95e percentile)? À tous les 50 ans (97.5e percentile)? Et ainsi de suite. Le but de cet article n’est pas seulement d’apporter des réponses (on en aura quelques-unes, bien sûr, ne vous inquiétez pas), mais aussi d’amener le lecteur à pousser sa réflexion plus loin sur les enjeux en constante évolution de gestion de risque. On peut aussi réfléchir à comment certains risques qui se sont matérialisés dans le passé proche évoluent maintenant dans des contextes plus technologiques, de mondialisation, etc.

Prenons l’exemple très concret de la pandémie de COVID-19. D’un point de vue historique, ce scénario est dans le 99e percentile; la dernière pandémie fut celle de la grippe espagnole (1918). Plusieurs autres scénarios pandémiques / épidémiques se sont manifestés avant ça au Moyen Âge, à la Renaissance et à d’autres époques jusqu’à aujourd’hui, toutes avec une fréquence qui varie entre 100 et 200 ans. Est-ce, alors, à dire que nous devons traiter ce scénario comme un 99e percentile, aujourd’hui? Pas nécessairement, car le risque a beaucoup évolué ces dernières années. C’est malheureusement un aspect à propos duquel il est impossible d’offrir une réponse précise, mais la gestion de risque est aussi, en soi, plus une réflexion continue sur l’évolution d’un environnement et ses risques qu’une science exacte.

Il est aussi important de s’intéresser aux événements de 90e et 95e percentiles, soient ceux qui surviennent en moyenne à tous les 10 ou 20 ans, car on retrouve sans surprise les multiples récessions qui affectent temporairement la performance des investissements immobiliers et nous ramènent dans une optique de cycles de marchés. On peut penser à la crise boursière de 1987, des turbulences de l’immobilier au début des années ’90, de la bulle technologique de 2001, la crise financière de 2008. Chacun de ces événements ont, à leur façon, affecté l’économie et, ultimement, les revenus nets d’opération perçus en investissement immobilier, bien que ces baisses aient été temporaires. J’aborderai, dans un prochain article, comment quantifier ces scénarios à l’aide de tests de sensibilité sur les résultats de profitabilité dans l’optique d’un portefeuille d’immeubles multilogements. Je m’attarderai également sur les hypothèses les plus importantes à tester et des directions à prendre dans vos calculs.

Mesure importante en gestion de risque : CVaR

La deuxième mesure, plus adéquate dans certains contextes de risques catastrophiques, mais également plus complexe à calculer et expliquer est le tail value at risk (TVaR ou valeur à risque conditionnelle, CVaR), aussi connue sous les noms conditionnal tail expectation (CTE) ou espérance conditionnelle unilatérale (ECU).

On peut définir la valeur à risque conditionnelle comme une mesure de risque associée à la valeur à risque plus générale. Elle quantifie la valeur attendue de la perte en fonction de l’avènement d’un événement hors d’un niveau de probabilité donné.

Si on vulgarise un peu plus cette définition, on obtient l’équivalent de la VaR, mais dans ce cas précis, au lieu de seulement considérer la perte à un percentile donné (e.g., 95e percentile), on considère la moyenne de tous les scénarios au-dessus du percentile sélectionné. L’avantage de cette méthode est de mieux refléter la réalité des pertes potentielles dans la queue de la distribution de probabilités, ce qui est beaucoup plus précis que la VaR dans les cas où nous avons une distribution à queue épaisse avec un risque systémique / catastrophique plus important. Pour illustrer :

CVaR comparé à la VaR

Percentiles Pertes opérationnelles (k$)
VaR(95) 25
VaR(96) 35
VaR(97) 50
VaR(98) 90
VaR(99) 160
CVaR(95) 72

On peut constater comment les résultats se détériorent de façon marginale plus nous allons creux dans la queue de la distribution de probabilités. On voit également l’écart entre la VaR(95) et le CVaR(95); la CVaR capture plus efficacement les scénarios plus extrêmes. Rappelez-vous que bien que ces formules soient plus difficiles à appliquer sur un plus petit parc immobilier et prend des outils de modélisation plus sophistiqués que ce auquel l’investisseur immobilier moyen a accès dans son quotidien, bien comprendre les concepts illustrés dans la situation ci-dessus vous aidera à bien former une mentalité de gestionnaire de risque efficace, qui est au-devant des choses dans sa planification, et ce afin de gérer les risques inhérents à la détention et l’optimisation d’un portefeuille multilogement.

Risque diversifiable et risque systémique

Les notions du risque diversifiable et risque systémique en sont aussi qui ne sont pas toujours comprises ou, du moins, qui passe « sous le radar » de l’investisseur immobilier conventionnel. Selon la Banque Scotia, le risque diversifiable se définit comme suit :

« Un risque non systématique (aussi appelé risque spécifique ou diversifiable) représente le risque que la valeur d’un placement change en raison de facteurs propres à cet investissement et non au marché en général. »

La diversification est amplement utilisée en bourse pour constituer différents fonds offerts aux investisseurs. Le gestionnaire de portefeuille sélectionne les titres les plus indépendants possibles les uns des autres en variant les secteurs (technologique, alimentaire, finance, médical, etc.), et ce pour minimiser les fluctuations du portefeuille. En immobilier, certains risques peuvent être diversifiés en investissant dans plusieurs régions géographiques (Montréal, Québec, Gatineau, Trois-Rivières, Sherbrooke, etc.), différents types de produits (neuf, usagé, clientèle, etc.) ou différents créneaux (petits plex, Airbnb, multilogements 6+, semi-commercial, commercial). Cependant, même le plus grand niveau de diversification ne pourra éliminer la portion du risque dite systémique et qui peut être définie comme suit :

« Le risque qu’un événement particulier entraîne, par réactions en chaîne, des effets négatifs considérables sur l’ensemble d’un système et qui peuvent entrainer une crise générale dans son fonctionnement. »

En effet, ce type de risque affecte l’entièreté du système et on le retrouve loin dans la queue de la distribution de probabilités, où plusieurs risques différents se matérialisent simultanément dans des scénarios où ils sont fortement corrélés. Dans les exemples de diversification précédents, on peut noter que la matérialisation d’un risque systémique affecterait toutes les régions du Québec. Même si certaines régions seraient moins affectées que d’autres, la manifestation d’un risque systémique veut simplement dire que tout est affecté (le risque n’est pas défini par son ampleur). La même logique s’applique aux types de produits et différents créneaux. La crise du COVID-19 est un bel exemple de risque systémique. On peut même dire que cette pandémie comporte deux volets de risque :

  • crise sanitaire : toutes les mesures de distanciation sociale ont des impacts graves sur plusieurs indicateurs macroéconomiques (taux chômage, salaires, gestion opérationnelle, instabilité sociale, etc.);
  • crise économique : suivra sans doute la crise sanitaire, alors que plusieurs entreprises auront grandement souffert (faillites dans certains cas) et que le système financier devra se remettre en marche dans une récession.

Il est très important de bien différencier les risques diversifiables et systémiques, car ils doivent être gérés, mitigés ou éliminés grâce à des stratégies bien différentes. Le risque diversifiable sera, évidemment, principalement géré par… la diversification. On utilisera tout de même d’autres stratégies pour gérer le risque systémique.

(La suite des choses est plus concrète et appliquée au quotidien. Merci d’avoir lu jusqu’ici.)

Coussin de liquidité excédentaire

Personne n’aime garder 50 000 $ dormant dans un compte bancaire avec un taux d’intérêt insignifiant. La plupart des gens en immobilier (je l’espère bien) sont là pour obtenir du rendement, le plus possible et le plus rapidement possible. Le risque majeur à gérer en immobilier, cependant, en est un de liquidité à court terme; les immeubles que nous détenons sont très illiquides par nature en l’absence d’un marché liquide comme la bourse, par exemple, pour transiger des immeubles en temps réel. Une bonne partie du rendement immobilier est générée par cette illiquidité; on vous paie une prime de rendement parce-que votre argent n’est pas facilement ou, surtout, rapidement accessible (par exemple, en une heure ou une journée). Dans cette optique, il est nécessaire de conserver un minimum de liquidités, autant pour parer les imprévus dans votre parc immobilier (par exemple, une toiture à changer prématurément) que pour être prêt à l’éventualité de certains chocs économiques. Un bon exemple est celui de certains parcs immobiliers qui pourraient voir jusqu’à 25 % de mauvaises créances pendant six mois durant la crise sanitaire du COVID-19. Dans un parc immobilier de 200 portes, le besoin en liquidités à court terme peut être non négligeable, d’où la nécessité d’un coussin excédentaire. Cette solution en gestion de risque est, bien sûr, plus coûteuse (coût d’opportunité), mais elle est de loin la plus sécuritaire, car l’argent est disponible maintenant. Le montant exact du coussin devrait être déterminé avec des tests de sensibilité sur le parc immobilier. Je traiterai de ce sujet dans un prochain article dans un contexte de gestion de risque.

Produits de financement à court terme disponibles

Ceci est très similaire au coussin de liquidité, excepté qu’il s’agit de crédit, non pas de son propre argent. Le besoin en liquidité n’est pas dépendant de la source des fonds, cependant, bien que dans une analyse de rendement, on tiendrait compte du coût d’opportunité ou des fonds empruntés. On cherche donc seulement à gérer le risque, alors l’important est d’avoir accès à de la liquidité peu importe sa provenance (équité / dette). Si quelqu’un dispose de 50 000 $ en marges inutilisées qu’il conserve comme coussin en cas d’imprévus, il a le même impact net qu’au point précédent où il détenait la même somme en liquidité dans un compte d’épargne à taux d’intérêt minimal. En revanche, la nuance à retenir est l’accès à cette liquidité dans certains scénarios économiques extrêmes. Si quelqu’un qui a beaucoup de jeu en marge de crédit fait face à une crise de liquidité bancaire (qui est, soit dit en passant, beaucoup plus probable au moment de la rédaction que seulement 30 jours auparavant; probabilités à postériori), il se peut qu’il perde l’accès à ces marges ou autres types de financement à courte terme plus rapidement que prévu comme les banques peuvent fermer leurs portes à n’importe quel moment. Même si ce sont des scénarios extrêmes, ils existent et il est important de comprendre que rien n’est plus sécuritaire que de l’argent sonnant dans son compte bancaire. On revient au fameux (souvent mal utilisé) cash is king (l’argent est roi). La sagesse et la gestion de risque nous induirait à transformer rapidement ces produits de financement court terme en argent liquide dans un compte dès les premiers balbutiements d’un scénario de risque systémique.

Investissements plus liquides

Le principe de liquidité reste le même, mais notre argent est placé dans des véhicules de placement plus « payants », tout en gardant leur nature liquide. L’effet pervers est qu’on s’expose à plus de risque de marché et de défaut en tentant de gérer le risque de liquidité. Prenons, par exemple, le cas du risque de marché boursier dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Les bourses ont, en effet, encaissé des pertes de l’ordre de 20 % à 50 % selon les secteurs d’investissement. Ce qui veut dire que quelqu’un qui détenait 100 000 $ en placements boursiers se retrouve aujourd’hui avec entre 50 000 $ et 80 000 $ en argent liquide prêt à être déboursé en cas de manque de liquidité dans son parc immobilier. Si le besoin en liquidité s’avère élevé (par exemple, 50 000 $ en un mois), cette personne devra encaisser sa perte boursière pour honorer ses obligations immobilières. Dans un scénario plus marginal, par exemple, 10 000 $ à court terme pour un mois, cet investisseur n’aura qu’à encaisser une portion de sa perte boursière et pourra laisser l’excédent bien placé pour une éventuelle remontée.

Le même type d’effet pervers se ferait sentir sur un portefeuille de prêt privé, puisqu’en situation de crise (comme celle du COVID-19), il est beaucoup plus probable de voir une augmentation du taux de défauts sur ces investissements. En prenant pour acquis qu’un investisseur accepte ce risque, un portefeuille de prêt privé pourrait être structuré de façon à décaisser de l’argent à tous les deux mois (plus le volume est élevé, plus c’est facile de structurer des intervalles de liquidité plus courts) en remboursement de capital et intérêts, ce qui minimise le risque de liquidité tout en plaçant son argent à un taux de rendement plus avantageux.

Partenariat

En immobilier, on dit souvent que le partenariat est un outil très puissant pour faire fructifier l’argent, son but étant de créer un tout plus imposant que la somme de ses parties. C’est aussi vrai d’un point de vue de gestion de risque. Car certains partenaires plus liquides peuvent agir de remparts pour d’autres partenaires qui se retrouvent dans des situations « plus serrées » à court terme. Bien sûr, tout se monnaie, donc un partenaire plus liquide demandera à être compensé pour sacrifier une partie de ses liquidités à court terme, mais l’effet net sera quand même d’avoir facilité l’accès au crédit dans lorsqu’il était essentiel. Le partenariat peut aussi être une source de soutien moral pour passer à travers des épreuves lorsque certains risques se manifestent.

Structure de financement d’un parc immobilier

Bien que cette stratégie soit plus facile à appliquer à un parc immobilier plus imposant, elle peut s’avérer très efficace lorsqu’il s’agit de maximiser la fréquence des moments de liquidité lors d’imprévus. Le but est de synchroniser les termes hypothécaires de façon à minimiser les frais de pénalité en refinancement et créer des moments de liquidité bien répartis dans le temps. Alors, au lieu d’avoir l’ensemble de son parc immobilier dans un taux fixe de 5 ans, on voudra varier les termes de façon à créer des refinancements bien répartis dans le temps et avoir accès le plus fréquemment possible à des liquidités qui peuvent servir à absorber les chocs de marché dans des scénarios plus corsés.

Un autre aspect à considérer est le niveau de levier dans la structure financière. Il est évident qu’un parc immobilier financé avec un ratio prêt-valeur plus bas (65 % ou moins, en considérant tous les financements secondaires, tels que le prêt privé, marges de crédit et balances de prix de vente) dispose d’un meilleur coussin de liquidité opérationnelle face aux chocs (mauvaises vacances, baisse des revenus nets d’opération, etc.) qui est très facile à gérer. Comme dans plusieurs autres scénarios, en revanche, le rendement du parc immobilier en souffre, car en immobilier la plus grande partie du rendement vient de l’utilisation du levier et sa structure.

Stratégies de gestion de risque systémique

Quelle est la meilleure stratégie à utiliser? La réponse demeure, comme dans bien des cas : ça dépend. Ça dépend de nombreux facteurs, de votre situation personnelle et, souvent, la meilleure solution est de combiner plusieurs stratégies pour en maximiser l’efficacité et de s’adapter aux différents cycles de marché (e.g., c’est peut-être le bon moment pour démarrer un fonds de liquidité d’urgence placé en bourse).

Leçons à retenir

L’objet de cet article était de vous présenter les différents modèles théoriques et concepts scientifiques derrière la modélisation du risque. Ce faisant, j’espère que vous pourrez commencer à développer une mentalité de gestionnaire de risque qui se greffera à votre esprit entrepreneurial qui tend naturellement vers la maximisation des profits. Cette nouvelle vision des choses pourra agir comme contrepoids en vous amenant à continuer de maximiser le rendement tout en minimisant les risques. J’espère vivement que la mentalité de gestionnaire deviendra plus populaire dans les prochaines années, dans un monde d’investissement immobilier post-COVID-19. Évidemment, j’ai eu à simplifier grandement le discours pour demeurer concis. Je comprends que les concepts présentés ci-dessus sont compliqués. Le Certificat en ingénierie financière multilogement et l’incubateur / accélérateur Meute multilogement, ainsi que les nombreux cours et programmes offerts sur le eCampus du Collège MREX sont des outils de taille pour comprendre les complexités de l’investissement immobilier multilogement moderne.