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La pénurie mondiale de logements écrase la croissance alimentée par l’immigration

7 mai, 2024   |   Par Kadiatou Bah

Les ménages reculent dans 13 économies développées alors qu’une immigration record se heurte à une crise du logement. Cela démontre que dans une grande partie du monde développé, l’un des moteurs de croissance économique des plus fiables est en perte de vitesse.

Pendant des décennies, l’afflux rapide de migrants a aidé des pays comme le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni à éviter le frein démographique dû au vieillissement de la population et à la baisse des taux de natalité.

L’immigration est en croissance dans le monde post pandémique

Cela se traduit désormais par une vague d’arrivées depuis la réouverture des frontières après la pandémie, qui s’est heurtée à une pénurie chronique de logements pour les accueillir.

Le Canada et l’Australie ont échappé à la récession depuis leurs contractions de Covid, mais pas leurs populations, car de profondes récessions par habitant ont érodé leur niveau de vie.

La récession au Royaume-Uni l’année dernière semblait légère sur la base des chiffres bruts, mais elle était plus profonde et plus longue si elle était mesurée par personne.

Au total, treize économies du monde développé étaient en récession lorsqu’on regarde le PIB par habitant à la fin de l’année dernière, selon une analyse exclusive d’économistes de Bloomberg.

Bien qu’il existe d’autres facteurs, tels que le passage à des emplois de services moins productifs et le fait que les nouveaux arrivants gagnent généralement moins d’argent, la pénurie de logements et les tensions associées au coût de la vie sont un fil conducteur.

En Australie, par exemple, l’arrivée d’environ un million de personnes, soit 3,7 % de la population , depuis juin 2022 a contribué à combler une pénurie chronique de travailleurs dans des secteurs tels que l’hôtellerie, les soins aux personnes âgées et l’agriculture.

Et au Royaume-Uni, une économie proche du plein emploi a vu les arrivées d’immigrants d’Ukraine, de Hong Kong et d’ailleurs ont compensé le manque de travailleurs après le Brexit.

Les pénuries de compétences dans une grande partie du monde développé signifient qu’il faut davantage de travailleurs, et non pas moins.

En effet, le marché du travail et l’économie américaine sont plus dynamiques que beaucoup ne le pensaient possible, alors qu’un afflux de personnes à travers la frontière sud élargit le bassin de main-d’œuvre, alors même que l’immigration apparaît comme une question déterminante lors de l’élection présidentielle de novembre prochain.

Même si les États-Unis ont connu une augmentation largement médiatisée de la migration autorisée et irrégulière, l’ampleur de cette augmentation est en réalité dérisoire par rapport au taux de croissance du Canada. Pour 1 000 habitants, le pays a accueilli 32 personnes l’année dernière, contre moins de 10 aux États-Unis.

Autrement dit : au cours des deux dernières années, 2,4 millions de personnes sont arrivées au Canada, soit plus que la population du Nouveau-Mexique , et pourtant, le Canada a à peine ajouté suffisamment de logements pour les résidents d’ Albuquerque.

Le Canada a montré les limites de l’immigration

L’expérience du Canada montre qu’il y a une limite à la croissance alimentée par l’immigration : lorsque les nouveaux arrivants dépassent la capacité d’un pays à les absorber, le niveau de vie diminue même si le chiffre d’affaires est gonflé.

La Banque Scotia estime que le taux de croissance démographique, sans incidence sur la productivité, est inférieur au tiers de celui enregistré au Canada l’année dernière, ce qui serait plus conforme au rythme américain.

Ainsi, même si cette croissance démographique record maintient le PIB du Canada en croissance, la vie devient plus difficile, en particulier pour les jeunes générations et pour les immigrants.

Le boom de l’immigration post-pandémique et du cycle agressif de resserrement des taux d’intérêt de la Banque du Canada ponctuent le contexte économique actuel du pays.

La population canadienne en âge de travailler a augmenté d’un million au cours de la dernière année, mais le marché du travail n’a créé que 324 000 emplois.

Résultat : le taux de chômage a augmenté de plus d’un point de pourcentage, les jeunes et les nouveaux arrivants étant encore une fois les plus touchés.

Alors que des millions d’Américains sont également confrontés à une crise de l’accessibilité au logement, la croissance de leur revenu disponible réel est restée supérieure à la hausse des prix de l’immobilier pendant une grande partie des deux dernières décennies.

Ce n’est pas le cas au Canada. Le prix médian des maisons à Toronto est désormais de 1,3 million de dollars canadiens, soit près de trois fois celui de Chicago, une ville américaine comparable.

La sous-construction chronique de logements et des décennies de hausse continue des prix ont drainé les fonds d’autres secteurs de l’économie vers le logement.

Ce manque d’investissement en capital, combiné au fait que les entreprises se concentrent plutôt sur l’augmentation de la main-d’œuvre en raison de  de main-d’œuvre moins élevés, a entraîné une baisse de la productivité, qui, seloncoûts la Banque du Canada, se trouve à des niveaux « d’urgence ».

L’inquiétude croissante suscitée par la crise du logement a forcé le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau à revoir à la baisse ses ambitions en matière d’immigration, stoppant l’augmentation des objectifs de résidence permanente et limitant pour la première fois la croissance des résidents temporaires.

L’objectif du Canada est désormais de réduire la population de travailleurs étrangers temporaires, d’étudiants internationaux et de demandeurs d’asile de 20 %, soit environ un demi-million de personnes, au cours des trois prochaines années.

Cela devrait réduire le taux de croissance annuel de la population de plus de moitié, pour atteindre une moyenne de 1 % en 2025 et 2026.

Contraste avec l’Australie

L’Australie étant confrontée à sa pire crise du logement de mémoire d’homme, la vie n’y est donc pas plus facile, car bon nombre des mêmes tensions qu’au Canada s’y manifestent.

Les permis de construire pour les appartements et les maisons de ville sont proches de leur plus bas niveau depuis 12 ans et il reste un retard important dans les travaux de construction, en grande partie dû au manque de travailleurs qualifiés. Le gouvernement a tenté de combler le déficit d’offre de main-d’œuvre en augmentant le nombre de migrants, pour finalement constater que cela aggrave encore le problème.

Tout comme l’expérience canadienne, la croissance démographique exacerbe non seulement la demande de logements, mais masque également la faiblesse sous-jacente de l’économie.

Le PIB a augmenté chaque trimestre depuis une courte récession induite par Covid en 2020, mais par habitant, le PIB s’est contracté pour un troisième trimestre consécutif au cours des trois derniers mois de 2023, la baisse la plus profonde depuis la crise économique du début des années 1990.

En termes absolus, le PIB par habitant de l’Australie est désormais à son plus bas niveau depuis deux ans, une « sous-performance significative » par rapport aux États-Unis et un résultat qui pourrait entraîner une hausse du chômage, selon Goldman Sachs Group Inc.

L’angoisse suscitée par le manque de logements, la flambée des loyers et la flambée des prix de l’immobilier ont incité le gouvernement travailliste d’Anthony Albanese à sévir contre les visas étudiants.

La Nouvelle-Zélande voisine est aux prises avec un problème similaire.

Le mois dernier, le gouvernement a apporté des modifications immédiates au programme de visa de travail, en introduisant une exigence de langue anglaise et en réduisant la durée maximale de séjour continu pour une série de postes moins qualifiés, invoquant une migration nette « non durable ».

Les changements faisaient partie d’un plan visant à « créer une immigration plus intelligente » qui soit « autofinancée, durable.

Ces changements rappellent un peu les actions du gouvernement canadien en matière d’immigration.

Petit tour d’Europe

En Europe, sa plus grande économie, l’Allemagne, a également connu une récession par habitant sur fond de tensions politiques croissantes concernant un grand nombre de demandeurs d’asile, de pénurie de logements et d’une économie en panne. Des analyses montrent que la France, l’Autriche et la Suède font également partie de ceux qui ont souffert d’une récession par habitant.

En Grande-Bretagne également, des niveaux records de migration ont commencé à peser sur l’économie. Une récession technique au second semestre de l’année dernière a vu le PIB global chuter de 0,4 %, mais la crise a été plus longue et plus profonde une fois ajustée à la population. Le PIB par habitant s’est contracté de 1,7 % depuis le début de l’année 2022, baissant pendant six trimestres sur sept et stagnant pendant l’autre.

Alors que la Grande-Bretagne est proche du plein emploi et que plus de 850 000 personnes ont quitté la population active depuis la pandémie, l’immigration a aidé les employeurs à combler une pénurie généralisée de main-d’œuvre, notamment dans les secteurs de la santé et des services sociaux.

Le PIB du Royaume-Uni a augmenté de 23 % depuis le début de 2010. Par personne, la croissance de la production a été bien moins impressionnante, à 12 %.

Au cours de la même période, la population a fortement augmenté, augmentant d’environ 11 %, soit près de 7 millions, pour atteindre 69 millions. L’Office des statistiques nationales s’attend à ce qu’elle atteigne près de 74 millions de personnes en 2036, selon les projections démographiques actualisées qui prévoient désormais une croissance plus rapide. Plus de 90 % de l’augmentation de la population attendue entre 2021 et 2036 proviendra des migrants, a-t-il indiqué en janvier.

Le système d’immigration du Royaume-Uni après le Brexit visait à éliminer la main-d’œuvre bon marché en provenance d’Europe et à donner la priorité aux travailleurs hautement qualifiés. Cependant, le gouvernement facilite l’accès à certains travailleurs étrangers s’ils travaillent dans des secteurs en pénurie.

Là aussi la grogne de la population face à la pénurie de logements s’est fait ressentir.

Les constructeurs britanniques et le gouvernement ont eu du mal à stimuler la construction de nouveaux logements aux niveaux nécessaires. Un système de planification restrictif a été utilisé par Nimbys, « pas dans mon jardin », pour bloquer les développements locaux et les efforts de refonte du système par les conservateurs au pouvoir ont été sabotés par les craintes de réactions négatives dans leurs régions rurales du sud.

Plus les électeurs du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada et d’économies similaires verront leur niveau de vie reculer longtemps, plus leur opposition aux programmes d’immigration rapides se durcira. Une solution durable nécessite des politiques gouvernementales, en particulier dans le domaine du logement, qui convainquent à la fois les migrants potentiels et les populations existantes des avantages d’une croissance économique tirée par l’immigration.