La pénurie du bois et l’explosion des prix des matériaux de construction impacteront les portefeuilles des consommateurs à l’aube de la saison de la construction.
Selon un récent rapport sur les coûts de la construction au Canada, le prix du bois d’œuvre aurait augmenté de 300% en 12 mois.
En entrevue à TVA Nouvelles, le 10 mars dernier, Nathalie Gagnon copropriétaire de Remise Gagnon, une entreprise du secteur depuis 40 ans, relatait que les prix observés pour les matériaux aujourd’hui n’ont jamais été aussi élevés. « Certains matériaux dans la construction ont augmenté de 400 voire 500 % », avait-elle déclaré.
Dans rapport du premier trimestre de 2021, la firme de recherche Opta constate, une hausse du prix des matériaux de construction à travers le pays. Au Québec, elle serait de 4,5 % en un an. Cette augmentation touche tous les composants servant à rénover ou à construire les bâtiments.
Nathalie Gagnon donnait en exemple les feuilles de contreplaqués. L’an dernier, elle les a achetées au coût d’environ 22 $ la feuille. En ce moment, la même feuille coûte autour de 70 $. Autre exemple, un 2 x 4 qu’elle a payé 1,48 $ au début de 2020 valait 6,80 $, il y deux mois.
Que se passe-t-il exactement?
La fameuse loi de l’offre de la demande viendrait expliquer ce problème mondial qui concerne entre autres le prix du bois d’œuvre.
Au Québec, la question de l’offre est vite comprise. La quantité d’arbres pouvant être coupés est réglementée et limitée à 29 millions de mètres cubes par année. De plus, près de la moitié de cette production se voit acheminer aux États-Unis. Comme la quantité offerte est fixe, toute hausse de la demande viendrait donc avoir un impact haussier sur les prix du bois.
La demande pour sa part se voit aujourd’hui influencée par divers facteurs.
Les constructions en bâtiment sont en hausse en 2021, c’est un fait. Le nombre de mises en chantier est en explosion partout au Canada. Le nombre de nouvelles maisons est passé de 200 000 par année à près de 250 000 nouveaux chantiers.
Le Québec ne fait pas exception. Il se construit normalement 45 000 maisons au Québec. On prévoit en 2021 au moins 60 000 nouvelles habitations. Et selon un récent rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, les mises en chantier de février avaient grimpé de 59 % par rapport à la même période il y a un an, sans parler des records battus en janvier de cette année, dans la construction résidentielle.
De quoi faire craindre les excès en demande de matériaux. L’été dernier, alors que les chantiers de la province venaient d’obtenir l’autorisation de réouverture, le prix du bois nécessaire à la réfection de terrasses et clôtures a grimpé jusqu’à 600 % dans certaines régions, selon Opta. La pandémie a un effet incitatif sur les rénovations, qui déjà historiquement sont plus élevées durant le printemps et l’été.
Un autre fait, près de la moitié des 1,4 million de logements du parc immobilier québécois a été construite avant les années 1980. Un grand nombre de ces logements a besoin aujourd’hui d’être rénové, entre autres pour augmenter l’efficacité énergétique. Ce faisant, la demande en matériaux augmenterait.
Le gouvernement du Québec s’en mêle et ne vient pas calmer la demande. Dans son discours sur le budget, le 26 mars dernier, le ministre des Finances annonce une injection de 4,5 milliards $ dans des travaux d’infrastructures. Dans le contexte d’explosion des prix pour les matériaux de construction, ceci ne fera que détériorer la situation pour les milliers d’immeubles locatifs où divers travaux de rénovation doivent être exécutés, notamment pour assurer que les logements soient livrés à temps, sécuritaires, fonctionnels et disponibles.
Mais qui au juste profite de ces hausses de prix?
Serait-ce les forestières qui récoltent et transforment le bois des forêts ? Les courtiers et grossistes, qui agissent à titre d’intermédiaires entre les scieries et les détaillants ? Ou encore les quincailleries, où s’approvisionnent en bois la plupart des consommateurs ?
Plusieurs intervenants du secteur ont donné leur point de vue.
« Je dirais que tout le monde en profite probablement, à différents niveaux. Mais les papetières sont probablement celles qui en profitent le plus » déclarait, le professeur au département des sciences de la forêt de l’Université Laval Luc Bouthillier.
Les scieries seraient responsables de cette hausse des prix, selon le Syndicat des producteurs forestiers du sud du Québec. Parce qu’en 15 ans, ils affirment ne pas avoir augmenté leur prix et le font maintenant que le marché est propice à encaisser les hausses.
Emery Bélanger Vice-président du Syndicat des producteurs forestiers du sud du Québec, qui compte plus de 11 000 producteurs déclarait sur les ondes de TVA Nouvelles, « c’est l’industrie qui met le gros volume d’argent dans ses poches. Si on prend l’exemple de 2005, les transformateurs gardaient entre 50 et 80 $ du 1000 entre le bois rond et le bois scié. Ces temps-ci, c’est entre 700 et 800 $, alors leurs marges de profits sont énormes ».
Le CIFQ Conseil de l’industrie forestière du Québec quant à lui mentionne que le gouvernement québécois obtient lui aussi sa part du gain. Cette année, la vente des droits forestiers a rapporté 400 millions de dollars au gouvernement du Québec, en plus de 3 milliards de dollars en taxes et en impôts. Ce n’est pas rien.
Le secteur forestier au Québec représenterait un produit intérieur brut (PIB) de 6 G$ par année au total, soit près de 2 % du PIB du Québec, selon le gouvernement.
Qui écope dans cette situation?
C’est bien entendu aux consommateurs que la facture est refilée. Ils subissent les prix directement à la caisse.
« Les consommateurs sont clairement les premières victimes de la situation, affirme Luc Bouthillier. L’industrie forestière est très opaque, vous savez. » renchérissait-il.
Il ne faut même pas mettre les pieds dans une quincaillerie, embaucher un entrepreneur pour ses travaux de rénovation ou acheter une maison neuve pour être touché par la flambée des prix des matériaux de construction.
L’inflation dans le secteur de la construction a commencé à faire bondir les primes d’assurance habitation même si les réclamations sont moins nombreuses.
Les compagnies d’assurance sont en mode rattrapage depuis trois ans à cause des catastrophes naturelles plus nombreuses dues aux changements climatiques et à l’augmentation des coûts de reconstruction en cas de sinistre.
Selon certaines sources, les coûts de reconstruction ont bondi de 20 % pour les assureurs.
Statistique Canada a rapporté que l’indice du coût de remplacement (de reconstruction) par propriétaire a augmenté de 7 % en février 2021 comparativement à la même période l’année dernière. Il s’agit donc de la croissance la plus marquée depuis l’hiver 2007.
Nikolaï Ray, PDG de MREX et expert dans le secteur de l’immobilier affirmait en entretien « S’il coûte cher de rénover les multilogements, les prix des loyers deviendront plus élevés pour refléter cette hausse des prix ». « Cela aura pour effet d’accentuer le problème d’abordabilité des loyers au Canada, qui est déjà bien présent », renchérit-il.
Rappelant ainsi, la réglementation de la loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (loi R-20), adoptée en 1968.
Selon cette loi, pour les immeubles à logements de plus de quatre portes, le propriétaire ou le gestionnaire doit nécessairement embaucher des travailleurs de la construction détenant le certificat de compétence de la Commission de la construction du Québec (CCQ) pour effectuer des rénovations. Le coût horaire de la main-d’œuvre oscille entre 80 $ et 85 $ l’heure, selon leur convention collective, expliquait Ray.
Le gouvernement doit exclure les immeubles de logements locatifs existants de cette loi très contraignante. La main-d’œuvre qualifiée est rarement intéressée par les projets de travaux que les propriétaires ont à exécuter et si elle l’était, cette main-d’œuvre coûterait de toute façon trop cher pour garder les loyers abordables.
Les pistes de solutions
Après avoir constaté la flambée des prix du bois de construction, le Conseil de l’Industrie Forestière du Québec (CIFQ) demande au gouvernement de pouvoir couper plus d’arbres pour rééquilibrer l’offre et la demande.
Le CIFQ aimerait que Québec augmente le volume de bois que peut récolter l’industrie en une année sur un territoire donné. Toujours selon Le CIFQ, la pandémie aurait eu pour effet de diminuer les inventaires des scieries.
En 2010, le Québec a décidé de réduire du tiers la possibilité forestière, donc, de l’offre en bois. À l’époque où la décision a été prise, il n’y a pas eu d’impact, car c’était la crise économique et peu de gens achetaient du bois. Depuis, la décision continue à se maintenir seulement qu’à un moment donné l’ajustement a commencé tant au Canada, qu’aux États-Unis. Particulièrement maintenant, quand le rattrapage se fait du côté de la rénovation et de la construction, ça fait une différence sur le marché. L’offre devrait être ajustée.
En décembre 2020, le ministre de la Faune et des Parcs (MFFP) avait annoncé une hausse de 15 % de la possibilité forestière sur cinq ans . Seulement, le besoin est pour maintenant.
Les voix se sont élevées dans le milieu politique. Le Parti québécois demandait le 14 mars dernier, la tenue d’une commission parlementaire sur un meilleur encadrement de l’industrie forestière.
« Pourquoi le Québec, qui voit près de la moitié de ses récoltes de bois prendre la route des États-Unis, ne se doterait-il pas de nouvelles mesures pour s’assurer de ne plus souffrir de pénurie de bois comme actuellement ? » questionnait, le député péquiste de Bonaventure, en Gaspésie, Sylvain Roy.
Il a fait face au refus du gouvernement caquiste d’initier une commission parlementaire sur la gestion de la forêt.
Le porte-parole du Parti québécois en matière de Forêts juge anormal que les Québécois, qui possèdent collectivement un « potentiel forestier phénoménal », se voient aujourd’hui contraints de subir les conséquences d’une pénurie de bois.
Sa proposition était une sorte de « clause Québec », par laquelle l’État imposerait à l’industrie que le bois recueilli dans ses forêts publiques serve en priorité les besoins des Québécois.
L’idée d’instaurer des quotas a séduit l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction ainsi que la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec. Le PDG de cette dernière, Éric Côté, déclarait « Nous vivons un vrai problème d’approvisionnement ». « Est-ce qu’on va finir par devoir importer du bois pour remplacer celui d’ici que l’on vend à l’étranger ? » insistait-il.
Pour encore plus de contenu à ce sujet : La Minute Économique – Le Prix du bois